Nov 101995
 

Durant l’été, certains groupes de discussion d’Usenet (principalement fr.soc.divers et soc.culture.french) ont été perturbés pas l’arrivée d’articles racistes, antisémites et révisionnistes.

Leur auteur, postant ses «oeuvres» depuis un accès commercial belge, ne fut pas très long à perdre son compte. Des plaintes envoyées à son fournisseur et mettant en cause sa responsabilité ont rapidement porté leurs fruits (même si cette responsabilité n’est pas aujourd’hui établie, légalement).

De tels faits n’ont malheureusement rien de spécifique à Usenet, et n’auraient pas leur place ici si, quelques jours plus tard, une autre personne (M. S B) n’avait posté des blagues dites «racistes» dans un groupe dédié à l’humour (fr.rec.humour).

Ces blagues, toutes très connues, et toutes (c’est le moins qu’on puisse dire) de très mauvais goût, n’auraient habituellement rien causé d’autre à leur auteur qu’une simple réprobation. Mais, ayant été postées depuis le même site commercial, et quelques jours après, elles ont reçu un accueil encore plus violent que ces articles racistes. Et M. B a appris à ses dépens que Usenet n’était pas un endroit aussi anodin qu’on le lui avait fait croire.

En effet, les plaintes des lecteurs, qui se sont sentis particulièrement agressés par cette avalanche d’obscénités, sont parvenues sur le bureau du directeur du Conservatoire Royal de Liège. S B, en effet, s’identifiait dans la signature de ses messages comme un étudiant de ce conservatoire. Un peu trop tôt, puisque la rentrée n’avait pas encore eu lieu. Et que, lors de cette rentrée, justement, son admission fut refusée au motif qu’il était un raciste notoire.

«L’Internet n’est pas un espace de liberté, mais un média comme les autres, où chacun est responsable de ce qu’il publie.»

Depuis la rentrée, S B tente de retrouver sa place. Il a, voici quelques jours, demandé le soutien de ceux qui l’avaient dénoncé, en postant un appel à l’aide dans les mêmes groupes. Les réponses obtenues devant être présentées à l’administration du conservatoire. Il plaide d’ailleurs sa cause, avec l’aide d’un avocat, au moment même où j’écris ces lignes. Nul doute que la fin de cette affaire ne nous soit dévoilée là où elle a pris naissance: sur Usenet.

S B, quand on l’interroge, explique volontiers qu’il ne pensait pas mal en postant ses «blagues», et qu’il aurait cessé si la réprobation avait été plus claire (certains lecteurs disaient apprécier, à l’époque). Il dit aussi qu’il aurait probablement évité son geste s’il avait eu connaissance de «l’affaire» précédente. Et c’est probablement la première morale de cette histoire. S B a commis l’erreur de prendre la parole en un lieu qu’il ne connaissait pas, que lisaient des gens qu’il ne connaissait pas. Il ne viendrait pas à l’idée de grand monde d’agir ainsi en société, mais c’est pourtant une attitude de plus en plus courante sur Usenet depuis l’ouverture commerciale de l’Internet.

Il fut un temps où il était rappelé, un peu partout, qu’il ne fallait pas poster un «texte» dans un groupe de discussion avant de l’avoir lu pendant quelques semaines. Cette règle de conduite aurait pu éviter bien des déboires à M. B, s’il l’avait connue.

Ce fabuleux monde de l’Internet, qu’on lui avait décrit comme un espace de liberté totale, lui fait peur aujourd’hui. Depuis qu’il s’est retourné contre lui, M. B s’est rendu compte que ce n’était pas, justement, un espace de liberté, mais un média comme les autres, où chacun est responsable de ce qu’il publie. Devant ses concitoyens de la «société des réseaux» comme devant la justice du Vrai Monde. Il est même encore plus difficile, et risqué, de s’y exprimer, plus que sur un autre média puisqu’aucun autre média n’est diffusé à la même échelle. La responsabilité de l’auteur d’un article est d’autant plus grande.

«Un message qui pourrait passer pour amusant à un moment donné peut aussi choquer et blesser si le contexte n’est pas le bon.»

Et cette responsabilité s’étend, comme le montre l’exemple de M. B, non seulement au contenu d’un message, mais aussi à son contexte. Il faut être informé de ce qui se passe, non seulement au niveau du groupe particulier dans lequel on veut poster, mais aussi au niveau plus général du lectorat potentiel. Un message qui pourrait passer pour amusant à un moment donné peut aussi choquer et blesser si le contexte n’est pas le bon; cela vaut pour Usenet comme pour tout autre média, et nous tenons là la seconde morale de notre histoire, selon un article récemment posté: «Contrairement à une idée assez répandue, l’Internet, et Usenet en particulier, ne sont pas des lieux ni des médias différents des autres, la même retenue devrait donc y être montrée. L’Internet n’est, en particulier, pas au-dessus des lois, qui s’appliquent aux propos qui y sont tenus.»

Je voudrais pourtant tirer de tout cela une autre morale, qui s’adresserait non seulement aux utilisateurs, mais aussi aux journalistes et aux fournisseurs d’accès:

pour éviter à d’autres «innocents» une histoire identique (et les exemples continuent d’affluer);

pour vous qui me lisez, sachez bien qu’Usenet n’est pas le forum local de votre BBS, et qu’il vaut mieux tourner sept fois son clavier autour de son écran avant de poster un article qui peut blesser un lecteur;

pour les fournisseurs d’accès, qui seront tenus pour responsables au même titre que l’auteur des propos en cause;

pour les journalistes qui vendent de l’Internet comme on vend le dernier gadget de Bill Gates.

Votre responsabilité doit vous pousser à vous informer avant d’écrire, la responsabilité des fournisseurs et des journalistes doit les pousser à vous informer avant que vous n’écriviez. L’Internet, et Usenet, peuvent amener le meilleur comme le pire. Faire de l’Internet un simple phénomène de mode, qu’on peut vendre comme on vendait des pin’s, ne peut rien amener de bon. Seules la formation et l’information des nouveaux usagers peuvent éviter le pire, pour l’Internet comme pour ses utilisateurs.

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