Juin 151999
 

[YOYO] Internet est un yoyo

Quand la firme japonaise Bandaï décide de relancer la mode du yoyo, inutile de vouloir éviter la vague. Tout le monde se remet au yoyo, en sachant d’avance qu’on ne saura jamais faire les jolies figures que le démonstrateur nous a montré, mais quand même : pour être dans le coup il faut avoir son yoyo. Au point que certaines entreprises se sont reconverties, même temporairement, dans la fabrication et la vente exclusive de yoyos.

Quand le commerce s’est emparé d’Internet, le réseau est devenu tout aussi incontournable que le yoyo. Impossible d’y échapper : soit vous avez Internet et vous êtes dans le coup, soit vous ne l’avez pas et vous voilà tout bête quand vos amis se mettent à parler de David Hirshmann au beau milieu du repas samedi soir.

Est-ce à dire qu’Internet, comme le yoyo, est un objet de mode, inutile pour le commun des mortels mais rendu incontournable grâce au service marketing des fournisseurs de téléphonie ?

J’ai longtemps défendu l’idée qu’Internet n’était pas un tel objet, et qu’il fallait avoir conscience, avant de s’y aventurer, du fait qu’il s’agissait d’autre chose que d’un simple moyen d’information moderne et rapide. Qu’en quelque sorte, il fallait apprendre à lire avant d’acheter le dernier Goncourt.

J’avais tort. Si j’en crois la façon dont il est présenté, Internet n’est pas un nouvel outil social, d’une importance comparable à l’invention de l’imprimerie en son temps, et il n’y a pas besoin d’apprendre à lire pour acheter le dernier livre à la mode non plus : ce qui compte c’est de montrer qu’on l’a. J’avais tort donc, la preuve c’est que tout le monde est d’accord pour considérer que Internet, c’est super-pratique pour dire à son chauffeur de taxi qu’on est assis derrière lui.

Ou bien est-ce le contraire ? Au final, lorsque je parle d’Internet avec des gens normaux (comprendre des gens dont le métier n’est pas relié, de près ou de loin, à l’informatique et aux réseaux), j’ai souvent l’impression que mon interlocuteur aimerait bien savoir à quoi sert l’outil qu’il paie si cher, mais n’en a finalement qu’une idée fort limitée.

En dehors, bien entendu, des (rares) cas où il souhaite faire savoir à son chauffeur de taxi qu’il est assis derrière lui.

Même s’il n’est pas question de négliger le fait qu’Internet, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est en grande partie le résultat de sa commercialisation à outrance, il ne se résume pas, quoi qu’en disent ceux qui le banalisent pour mieux le vendre, à ce gadget édulcoré qui permet de prévenir sa famille de la naissance du petit dernier, ou de prendre connaissance des derniers cours de la Bourse.

Internet c’est d’abord un outil qui met en relation des ordinateurs, et à travers eux les humains qui utilisent ces ordinateurs. Et n’importe quel sociologue vous dira qu’un outil mettant des humains en relation n’est pas un simple gadget, mais au contraire un instrument social nouveau, qui influe directement sur la société de part sa seule existence.

[TELEPORTEUR]Internet est un téléporteur

Vous êtes-vous déjà demandé ce que deviendrait notre monde si, demain, on inventait un moyen, une méthode quelconque, qui permette à tout le monde de se déplacer instantanément à n’importe quel endroit, à tout instant, de par sa seule volonté, gratuitement ou presque.

Quelques idées viennent à l’esprit. Les voyages seraient rapides, et moins chers. En vacances, on pourrait revenir chez soi fermer le gaz facilement. On pourrait même habiter en Australie et travailler à Paris.

Mais aussi : les voitures, les trains, les avions, les routes deviendraient presque inutiles. Des millions de gens seraient au chômage. Des industries entières deviendraient inutiles.

Les chauffeurs de taxis se reconvertiraient en Scotty.

Mais encore : les lois qui fondent nos sociétés deviendraient fort difficiles à appliquer. Si je peux me téléporter dans les coffres de la Banque de France et en ressortir librement, que devient l’argent ? Si je peux entrer et sortir librement de n’importe quel espace privé, que devient la propriété ?

Et je manque certainement beaucoup d’imagination en me limitant à ces quelques exemples, à peine ébauchés.

Ce serait sans doute la fin d’un monde, et le début d’un autre. Un paradigme, pour utiliser un mot à la mode.

Une chose est sûre, cependant, c’est qu’un tel changement ne se ferait pas sans une prise de conscience de tous des risques, du danger, mais aussi des bienfaits potentiels. Une révolution sociale de cet ordre ne peut se faire sans douleur, et la douleur maintient éveillé. Nous aurions à nous poser bien des questions sur notre futur, et bien des décisions à prendre pour choisir les bienfaits et nous protéger des dangers d’un tel monde.

La mise à la disposition d’Internet chez monsieur tout le monde représente, dans le domaine de l’immatériel, un changement presque aussi grand que l’invention du téléporteur dans le domaine de la physique. La possibilité de flux trans-frontières de tous les biens immatériels est rendue possible à l’échelle de l’individu. Les échanges d’opinions et d’idées se font, à la limite du langage près, entre des individus qui n’avaient aucune chance de se rencontrer avant, depuis des lieux qui sont aussi éloignés que possible sans que la distance ne joue plus le moindre rôle.

Comment imaginer qu’un tel objet soit sans conséquence non seulement au niveau de chaque utilisateur, mais aussi au niveau de nos sociétés. Comment comprendre que le débat sur la mondialisation soit limité au domaine économique quand la mondialisation est devenue, sans qu’on sache comment ni pourquoi, un fait incontournable dans tous les domaines de l’immatériel ?

Et surtout : comment imaginer qu’une révolution de cette ampleur reste ignorée du législateur au point qu’il faille des affaires comme celle d’Altern pour qu’il daigne s’y intéresser, de manière ponctuelle et sans lendemain ?

Pourtant, le politique ne peut ignorer qu’il est devenu impossible d’empêcher la diffusion des sondages la semaine précédent une élection. Il ne peut pas ignorer non plus qu’il est devenu quasiment impossible de faire payer la TVA sur un logiciel payé et téléchargé depuis les États-Unis.

Ces menus exemples sont légion. Pris un par un, ils ne sont jamais que des épiphénomènes. Pris dans leur ensemble, ils démontrent que des lois nationales sont devenues caduques. Sans le moindre vote parlementaire. Sans le moindre débat national.

Et le Politique ne fait rien. Pire : il présente lui aussi Internet comme un gadget. Un moyen de mettre en place une meilleure relation entre les administrations et les citoyens. Un guichet ouvert 24/24h. Et pour les écoles, un vague outil dont la mise en place est obligatoire, auquel il faut former les élèves, mais sans dire comment, et surtout sans dire pourquoi.

Car finalement, la question est bien celle-là : si Internet ne sert pas à dire bonjour à son chauffeur de taxi, ou à écouter la radio, à quoi ça sert, Internet ?

[BONNET] Internet et la carmagnole

Historiquement, même si ça n’a pas duré longtemps, Internet n’est qu’un outil informatique permettant la mise en commun de ressources chères. Comme lorsqu’on relie chez soi deux ordinateurs en réseau local pour utiliser la même connexion à Internet, Internet lui-même est inventé pour partager de la puissance de calcul, de l’espace disque, des applications… Tout ce qu’un réseau local permet de partager.

Bien entendu, les humains qui utilisaient les ordinateurs dans ce réseau ont aussi utilisé le réseau pour parler aux autres humains qui se trouvaient éloignés d’eux. L’usage créant la fonction, comme chacun sait, nous avons donc une première réponse : Internet sert à mettre les gens en relation.

Cette simple phrase est en contradiction formelle avec ce que quelques sociologues n’ayant sans doute jamais dépassé le stade du « bonjour à son chauffeur de taxi » (mais est-ce de leur faute s’ils n’ont d’Internet que cette vision étriquée ?) affirment depuis quelques temps : comment un outil dont la fonction est la mise en relation d’humains peut-il être l’outil qui va créer, selon eux, encore plus d’individualisme et de repli sur soi ?

En fait, et des études récentes l’ont montré, Internet favorise bel et bien l’éclosion de nouvelles formes de sociabilité (@rt flash 53). Nombreux sont ceux qui retrouvent une vie sociale via le réseau, et des fois mêmes avec plusieurs chauffeurs de taxis différents.

Voilà une des raisons qui valident la grande diffusion d’Internet. Dans une société de moins en moins structurée, Internet crée de nouvelles structures sociales et socialisantes. Une des plus belles démonstrations qui soit de ces nouvelles structures est la communauté qui s’est développée, notamment grâce à Internet (bien qu’elle soit d’abord liée à tous les réseaux électroniques préexistants au développement d’Internet, et qu’à ce titre on peut aussi bien dire qu’Internet doit son existence à cette communauté que l’inverse), autour du logiciel libre et de la logique de partage et de coopération qui permettent l’existence tant d’Internet que des logiciels libres.

Je crois aussi, au risque de laisser penser que je fume autre chose que du tabac, que l’explosion d’Internet répond à un besoin formel que l’évolution de nos sociétés a rendu inévitable, comme l’imprimerie répondait en son temps aux besoins de la Renaissance, qui créait trop de savoir par rapport aux méthodes antérieures de diffusion de la connaissance.

C’est pour moi la seconde raison qui fait qu’Internet fait l’objet d’une telle diffusion : ma thèse est qu’il répond à un besoin évolutionniste d’une espèce dont la survie est basée sur le transfert du savoir. Le hasard a fait qu’Internet était disponible lorsque l’espèce en a eu besoin, la nécessité fait aujourd’hui qu’il doit être diffusé le plus largement possible.

Enfin, et c’est sans doute l’aspect qui me motive le plus, Internet offre un espace d’expression public à tout un chacun.

Ca semble être une évidence, mais ça ne l’est pas. Internet est présenté, tant par le Politique que par le Commerçant, comme un moyen d’accès à l’information et comme un moyen de dialogue. Une espèce de combiné télévision/téléphone, ni plus ni moins. Seuls ceux qui ont une expérience de l’outil, et le savoir permettant d’obtenir cette expérience, en viennent petit à petit à l’utiliser pour s’exprimer en public, sur les forums ou sur un site Web.

Or cette possibilité, plus encore que les précédentes, constitue une nouveauté sans précédent dans l’histoire. S’il y a une révolution Internet, c’est celle-là, et pas les gadgets plus ou moins « cyber » dont nous abreuve le marché et les médias. Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de notre civilisation, de moyens permettant à n’importe qui se s’adresser potentiellement à plusieurs millions de ses concitoyens. Jamais à cette échelle, et jamais aussi accessible, en tout cas.

Et cette possibilité là est révolutionnaire, au sens propre. Elle permet pour la première fois l’exercice d’un des droits de l’homme évoqué dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : le droit à la liberté de communication. Un droit qui n’est à ce jour garanti, au niveau du simple citoyen, par aucune loi. C’est dire à quel point son exercice est resté théorique jusqu’à ce jour.

La raison d’être d’Internet n’est pas de dire bonjour à son chauffeur de taxi. Il n’est pas non plus d’écouter la radio en ne payant que 500 fois plus cher pour un résultat moins bon qu’en utilisant un simple récepteur grandes ondes.

– Internet permet à une société de moins en moins socialisée de trouver de nouveaux moyens de créer de la socialisation (dialogues en direct, Usenet, listes de discussion). Il répond à un besoin social.

– Internet permet la diffusion du savoir accumulé par l’espèce humaine, diffusion devenue impossible avec les médias préexistants. Il répond à un besoin évolutionniste.

– Internet permet enfin à chaque individu d’accéder à ce que la Révolution a affirmé être un des droits fondamentaux de l’Homme : le droit à la liberté d’expression. Il répond à un besoin humain.

Quelle que soit la façon plus ou moins crétine dont les médias nous présentent Internet, quelle que soit la prise en compte plus ou moins intelligente de cet outil par nos hommes politiques, ça ne change rien à l’inéluctabilité d’un outil tel qu’Internet. Il ne débarque pas dans nos vies comme le retour du fils du yoyo imposé par le marketing. Il ne débarque pas dans nos vies comme une technologie de plus qui simplifierait, à l’instar d’un minitel, notre vie quotidienne.

En tout cas pas seulement, et aucune de ces deux visions ne suffirait à expliquer l’essor, dans la taille et dans la durée, du développement d’Internet.

Pour moi, c’est le triple besoin social, évolutionniste et humain qui rend Internet inéluctable, et qui nous contraint à l’accepter même s’il doit nous conduire à une remise en question dans les domaines de l’éducation, de la loi, du travail et des relations humaines.

[MAMMOUTH] La logique du mammouth

L’objectif de l’École Ouverte n’est pas d’inculquer les idées qui précèdent aux élèves qui suivent ses cours. Ces idées sont les miennes, et si j’abuse de ma position pour vous les communiquer c’est avec une honte non dissimulée.

L’objectif de l’École Ouverte est basé sur un présupposé que j’ai longuement abordé avec vous : Internet est incontournable, il est inéluctable, il change déjà notre société, les rapports humains entre individus, la façon dont le savoir est diffusé, offre le moyen d’exercer une nouvelle liberté, impose de ce fait de nouvelles responsabilités.

Accessoirement, il crée de nouvelles formes de commerce et de développement économique, et permet de dire bonjour à son chauffeur de taxi. Ces aspects concernent assez peu l’École ouverte.

Ce présupposé admis notre objectif est d’offrir à tout citoyen suffisamment de savoir et de compétences techniques pour que, maîtrisant l’outil du point de vue technique, il soit capable d’évaluer lui-même les conséquences de l’existence de cet outil. Pour lui-même comme pour la société tout entière.

Internet, c’est entendu, est installé dans nos écoles et nos lycées. L’objectif de cette mesure est toujours aussi vague, les moyens humains permettant aux professeurs d’enseigner l’usage de ce nouvel outil sont ridicules en comparaison de son importance, mais j’ai abordé dans ce qui précède quelques unes des raisons qui, à mon sens, expliquent l’indigence des moyens mis en place.

Des accès à Internet sont aussi mis en place dans nos administrations, nos mairies, nos postes. On ne sait pas très bien pourquoi, et la plupart de ceux qu’on nomme à cette occasion « responsables Internet » ont pour toute compétence le grand avantage d’avoir eu l’occasion d’envoyer un e-mail une fois dans leur vie passée. Certains de mes proches sont dans cette situation, et elle n’est pas agréable.

La société toute entière se voit imposer l’usage de cet outil, complexe tout autant techniquement que sociologiquement. Dangereux même, par pas mal de côtés. Et nos gouvernants semblent compter sur l’auto-formation de tous les citoyens pour que cet outil soit maîtrisé. Autant compter sur l’auto-formation pour l’apprentissage de la lecture : on aura sûrement des résultats, quelques petits génies qui sauront lire au bout d’un temps étonnamment court, une grande masse de gens normaux qui sauront associer une image à un mot, et une masse encore plus grande d’ignorants incapables d’utiliser un outil qui sera devenu d’une importance primordiale dans ses rapports avec le reste du monde.

Sans parler des aspects sociologiques, nous croyons pour notre part qu’un effort énorme de formation technique est nécessaire, à tous les niveaux de la société, pour que tout un chacun soit à même d’utiliser tous les aspects d’Internet, jusqu’à celui qui permet l’exercice de la liberté d’expression.

Nous espérons parallèlement que les clés techniques permettront à ceux qui les auront de prendre conscience de l’importance sociale, et partant de prendre part aux décisions, forcément importantes, qui découleront de l’existence même d’Internet.

Nous avons choisi de n’utiliser aucun outil commercial comme support des formations que nous offrons. Les raisons qui sous-tendent ce choix sont basées sur une logique qui devrait amener logiquement n’importe quelle entité de formation publique à faire de même. Je les ai résumé, dans le passé, en une boutade : accepterions-nous de donner licence à MacDonalds pour s’occuper de toutes les cantines scolaires de France ?

Mais par dessus tout, notre rôle est de poser le problème que j’ai abordé ici : comment la révolution d’Internet peut-elle se faire sans danger si elle n’est pas accompagnée par la formation de la société toute entière, une formation libre, gratuite et fondée sur l’indépendance.

\section*{Ce que n’est pas Internet.}

\subsection*{- Internet n’est pas une « zone de non-droit ».}

Toute publication faite sur Internet est soumise aux règles du droit. Droit
du pays de l’émetteur de la publication, droit du pays depuis lequel est
faite la publication (car il est possible pour un citoyen français de
diffuser une information depuis une machine située en dehors du territoire
national), tous s’appliquent. On se trouve donc avec plus de règles de droit
applicables à Internet qu’à tout autre infrastructure de communication.

« Dans le domaine de l’incitation à la haine raciale, des lois existent dont
rien ne justifie le renforcement. La difficulté provient de ce que ces lois
sont rendues inopérantes par le caractère mondial du réseau. On ne la
résoudra pas en changeant la loi » nous dit l’AFTEL (1).

En effet, si des lois existent, et qu’on constate une difficulté réelle dans
leur application (2), cette difficulté est surtout dans la prévention. S’il
est difficile de publier en France des textes illégaux, cet acte devient
facile sur certains des médias utilisant Internet. D’autant plus facile
d’ailleurs qu’on aura fait passer auprès du public cette idée de « zone de
non-droit », qui peut renforcer la motivation ou diminuer les inhibitions du
raciste qui vient chercher un public nouveau sur Internet.

Pourtant la loi ne s’applique pas a-priori, mais après constatation d’une
infraction. En ce sens, elle est tout à fait applicable à Internet, comme à
toutes les infrastructures de communication (2).

\subsection*{- Internet n’est pas un « repaire de neo-nazis ».}

Pas plus qu’il n’est un repaire de pédophiles ou de pirates, d’ailleurs. Ces
activités existent, et il n’est pas question de le nier ou de vouloir en
minimiser l’importance. Pourtant ces dérives sont peu nombreuses, bien que
très médiatisées. Il suffit de vouloir chercher un discours raciste ou
neo-nazi sur Internet pour découvrir qu’il est bien plus facile de trouver
des sites d’information anti-raciste ou de combat anti-négationniste (3 et
4) que des sites explicitement racistes ou négationnistes quand il s’agit du
Web (5).

Certains groupes de discussion francophones (Usenet (5)) sont par période le
terrain de diffusion de textes révisionnistes ou neo-nazis. On connait en
particulier 4 ou 5 individus qui reviennent assez souvent chercher là le
débat sur des sujets comme le racisme ou le négationnisme (6). Mais le média
Usenet est par essence un lieu ouvert dans lequel peuvent s’exprimer ceux
qui veulent expliquer et démonter ces thèses. Contre cette poignée bien
connue on trouve des centaines de bénévoles toujours prêts à se battre
contre des discours de haine et d’exclusion.

Aujourd’hui, la médiatisation faite autour d’Internet est axée sur des
dérives pourtant exceptionnelles et marginales. Demain, on peut l’espérer,
elle se fera autour des espoirs que soulèvent ces nouveaux moyens d’accès au
savoir.

\section*{Ce qu’est Internet.}

\subsection*{- Internet est une infrastructure, pas un média.}

S’il est une analogie qui permet de mieux saisir la complexité des réseaux
informatiques, c’est celle de la diffusion hertzienne: une technologie sur
laquelle repose de nombreux médias, tous différents, et que la loi considère
différemment selon qu’il s’agit de la télévision ou de la CB, par exemple.
De même, Internet n’est qu’un support pour de nouveaux médias. On assimile
trop souvent le Web et Internet, confusion engendrée par sa plus grande
facilité d’accès par rapport aux autres médias utilisant Internet, et
entretenue par des logiciels conçus pour présenter sous une seule et même
interface des médias pourtant très différents.

Pourtant il n’y a pas d’autre rapport entre le Web et le courrier
électronique que les ‘tuyaux’ par lesquels ils passent. Si l’on cherche à
définir des responsabilités éditoriales, par exemple, comment le faire si
l’on confond un média privé comme le courrier électronique, qui ne concerne
que l’émetteur et le récepteur du message, tous deux identifiés, et le Web,
média par lequel un ‘éditeur’ met à la disposition de tous un message, et
pour lequel seul cet ‘éditeur’ est identifiable?

Cette infrastructure en pleins évolution est appelée à devenir le support de
nouveaux médias, dont personne aujourd’hui ne peut prédire quelle forme ils
prendront et quelles responsabilités ils engendreront. Il serait dangereux
de ne pas tenir compte de cette évolution dans les décisions qui seront
prises.

\subsection*{- Internet est un outil de diffusion du savoir.}

Une évidence qui n’en reste pas moins un non-dit formidable au milieu de la
tempète médiatique qui entoure ce réseau. Réseau dont la raison d’être est
pourtant bien le partage, non seulement de moyens informatiques et de
télécommunication, partage qui permet une économie d’échelle, mais aussi du
contenu, souvent informatique (diffusion de logiciel, de techniques) par
essence mais de plus en plus ouvert aux autres domaines à mesure qu’il se
démocratise.

Par les économies d’échelles qu’il permet, Internet offre un moyen de
diffusion du savoir à très bas prix. La mise à disposition de l’information
n’est plus une question d’argent, mais de décision stratégique ou politique.
En l’absence de répercussions financières, la facilité de cette décision
explique en partie la vitesse du développement technique dans le domaine
informatique. Bien sûr, ce coût très peu élevé et la facilité de l’accès
permet aussi à certains de diffuser des idées racistes à un public plus
large. La question qui est donc posée aujourd’hui est de savoir s’il faut
restreindre, voire interdire, une telle possibilité d’information à bas prix
parce que cette possibilité peut aussi être utilisée pour diffuser des
discours d’exclusion.

\section*{Les moyens d’actions.}

La loi, s’appliquant à Internet, permet déjà d’agir contre les activités
illégales qui pourraient s’y dérouler. Par nature, il est presque toujours
possible de remonter à la source d’une information diffusée sur Internet. La
source étant identifiée (7), il devient plus facile d’agir contre un
négationniste qui s’y exprime que contre la même personne qui diffuserait
des tracts de manière anonyme.

Il est difficile pourtant de rétablir un ordre public dérangé par une
activité illégale. Un message, une fois diffusé sur Internet, n’est pas
facilement stoppé (8), pas plus qu’un message diffusé par voie hertzienne
n’est aisément ‘récupérable’. La nature internationnale du réseau fait de
plus que la justice ne peut pas toujours punir un contrevenant. Ceci
n’interdit pourtant pas toute possibilité d’action. Action de formation
d’abord, qui est conseillée depuis longtemps au niveau européen (9) mais
pourtant encore très insuffisante. Une telle action, déjà peu présente sur
le réseau lui-même, est presque inexistante en dehors d’Internet. Elle
permettrait pourtant d’éviter la passivité de l’utilisateur potentiel face à
une information non vérifiée, ou à laquelle il est impossible de répondre
(cas du Web, voir (5)).

Techniquement, il est difficile aujourd’hui d’empêcher ma diffusion d’une
information sur Internet. L’identification, si elle est possible en théorie
(7), reste soumise à l’expertise humaine et n’est pas automatisable en
pratique (8 et 10). Il est donc impossible de filtrer de manière simple et
automatique les informations à leur source. il faudrait pour celà soit
pouvoir analyser sémantiquement tout message automatiquement, ce qui reste
utopique aujourd’hui (cas de Compuserve en Allemagne, voir (8)), soit
pouvoir identifier formellement un émetteur connu pour publier des messages
illégaux, ce qui est possible mais très aisément contournable (8), et
arbitraire, car le fait de filtrer les messages en provenance d’un site
n’interdit pas seulement la réception des messages incriminés, mais celle de
tout message qui en serait émis.

Mais de même qu’il est envisagé pour la protection des mineurs de créer un
moyen de filtrage personnel au niveau de l’utilisateur pour la télévision
(contrôle parental), il est possible de créer des filtres informatiques
configurables à discrétion par l’usager pour que seules des informations
voulues puissent être consultées. L’évolution technique de ces filtres est
rapide, et devrait arriver au niveau du grand public dans un délai de
l’ordre d’un an. Si un tel filtrage est difficile, voir impossible, au
niveau du fournisseur d’accès, car concernant un grand nombre d’abonnés aux
centres d’intérêts variés, il permet au niveau de l’utilisateur final une
grande souplesse et un excellent niveau de protection.

Il est clair pourtant que la décision qui sera prise ne doit pas l’être à la
légère. Il semble d’ores et déjà nécessaire de créer un statut pour les
intermédiaires, qui les délivrerait d’une responsabilité qu’ils ne peuvent
techniquement assumer (8 et 10). Mais un tel statut ne doit dépendre que du
média, par de l’infrastructure. Il est impensable par exemple de rendre un
fournisseur d’accès responsable du courrier électronique échangé grace à ses
services, alors qu’il est possible et raisonnable de le considérer comme en
partie responsable de pages Web qu’il mettrait à la disposition du public en
connaissance de cause sur un espace physique lui appartenant (en faisant
donc la distinction entre les pages physiquement hébergées sur les machines
appartenant au fournisseur, et celles situées n’importe où ailleurs dans le
monde mais accessibles via ses services).

Un filtrage ou une interdiction d’un message en particulier semble
techniquement impossible à la source sans tranformer en profondeur la
technologie utilisée sur Internet. Une telle tranformation n’est guère
envisageable à court terme compte tenu de la taille de ce réseau, et
remettrait en cause ce qui en fait la spécificité et qui permet justement
cette économie d’échelle qui en fait l’intérêt majeur. Il faut donc
envisager d’autres actions qu’une interdiction, et il semble impossible d’en
envisager d’autre que de formation et d’information.

\begin{itemize}

\item(1) « Internet, les enjeux pour la France », éditions A JOUR, ISBN 2-903685-67-3.
Ce document a été présenté en octobre 1995 comme un livre blanc adressé aux
pouvoirs public par l’Association Française de la Télématique.

\item(2) Document joint: article intitulé « Le Grand Secret » le plus partagé du
monde, rédigé par Valérie Sédallian et Philippe Langlois, Avocats au Barreau
de Paris, et paru dans le magazine Planète Internet N.6.

Un autre cas intéressant s’est produit depuis cette histoire et montre
l’applicabilité de la loi en l’état, mais les difficultés pratiques liées à
cette application. Dans une ordonnance de référé rendue le 16 avril 1996, le
Tribunal de Grande Instance de Paris (REF 54240/96) fait injonction à Yves
Rocher de ne plus diffuser sur Internet de documents relatifs à ses griefs
contre le groupe BNP-BANEXI, et d’affirmer que tout article précédemment
diffusé par ce biais a été effacé. On constate donc que la loi a pu
s’appliquer en l’espèce sans problème, et que le « vide juridique » si souvent
invoqué n’existe pas. Pourtant l’application de cette ordonnance par Yves
Rocher risque fort d’être difficile, puisque ses articles, diffusés sur
Usenet, ont été diffusés sur tous les ordinateurs du monde qui reçoivent les
groupes de diffusion en langue française, et archivés sur certains d’entre
eux situés à l’étranger, et sur lesquels Yves Rocher n’a aucun moyen
d’action. Le juge aura donc à décider de la bonne foi du défendeur quant à
ses efforts pour faire disparaitre toute référence à ces articles.

\item(3) Document joint: copie d’écran du service mis en place par Michel
Fingerhut présentant des « ressources documentaires sur le génocide nazi zt
sa négation ».

\item(4) Document joint: résultat d’une recherche par mot-clé sur les principaux
sites de recherche.

\item(5) Document joint: « Présentation succinte d’Internet et de ses services »,
déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé UEJF. On pourra
aussi reprendre les exemples cités en (2).

Le Web est incontestablement le média le plus ‘dangereux’ du point de vue de
la diffusion d’idées racistes, fascistes, ou de la propagande sectataire.
Par essence, il est impossible d’apporter la contradiction à l’endroit où
sont mis à disposition les textes en cause, puisque cet endroit est un lieu
privé appartenant à l’émetteur ou à son fournisseur d’accès. La notion de
‘droit de réponse’ y est donc inconnu, ou au mieux soumis à la bonne volonté
de l’éditeur des textes.

\item(6) Document joint: article posté sur le groupe de discussion (Usenet)
fr.soc.divers par M. Léon Jourdain ayant pour titre « La toute puissance du
Lobby Juif. » le 27 avril 1996 et exemple de réponse documentée faite le même
jour au même endroit.

\item(7) Dans l’article cité en (6), on trouve les références suivantes:

Path:brainstorm.eu.org!speedy.grolier.fr!rain.fr!jussieu.fr!univ-lyon1.fr!howland.reston.ans.net!EU.ne
From: leon.jourdain@ping.be (leonjourdain)
Newsgroups: fr.soc.divers,soc.culture.belgium
Subject: La toute puissance du Lobby Juif.
Date: Sat, 27 Apr 1996 08:53:03 GMT
Organization: EUnet Belgium, Leuven, Belgium
Lines: 27
Message-ID: <4lsltc$n39@news1.Belgium.EU.net>
NNTP-Posting-Host: dialup27.namen.eunet.be

La première ligne indique par quelles machines est passé cet article pour
parvenir sur l’ordinateur de Laurent Chemla (nommé brainstorm.eu.org). Il
faut signaler que ce chemin sera différent pour chacun, mais que la source
de l’article (la dernière machine citée, chaque machine étant nommée et
chaque nom étant séparé du suivant par un !) est la machine Belgium.EU.net,
machine appartenant à un grand fournisseur d’accès en Belgique, connu et
identifié sous le nom de « ping.be ».

La seconde ligne indique le compte (l’adresse sur Internet) depuis lequel a
été posté cet article sur la machine citée en 1ère ligne. Il s’agit du
compte de M. Léon Jourdain, qui est un client de « ping.be ».

La 3ème ligne indique que cet article a été posté dans 2 groupes de
discussion distinct: fr.soc.divers, groupe de « discussion diverses sur des
des sujets sociaux » en français, et sur « soc.culture.belgium », groupe
équivalent concernant la Belgique. Les lecteurs de ces deux groupes auront
donc eu accès à cet article si son titre les a intéressés.

Les lignes suivantes sont les lignes de description de l’article: sujet,
date, organisation, nombre de lignes et identifiant unique de cet article.

La dernière ligne est le nom de l’accès physique utilisé (modem) chez le
fournisseur d’accès. Cet élément, ainsi que la date, est très difficilement
falsifiable et il est donc possible pour le fournisseur d’accès « ping.be » de
vérifier si le client connecté chez lui sur cet accès à cette heure précise
était bien M. Léon Jourdain, identifié formellement puisque signataire d’un
contrat de fourniture d’accès à Internet.

Tout article posté sur Usenet comporte des informations identiques qui
permettent une identification quasi-formelle de leur émetteur.

Sur le Web, l’identification est du même ordre. Il faut en effet pour
diffuser une page par ce média disposer d’une machine reliée en permanence
au réseau Internet et qui puisse faire office de ‘serveur’. Mais relier une
machine à un tel réseau nécessite des moyens physiques et des accords
techniques avec le reste du réseau qui rendent leur propriétaire, le plus
souvent des fournisseurs d’accès à Internet, facilement identifiable. Charge
alors au possesseur de la machine d’identifier l’utilisateur qui a mis en
place les pages incriminées.

Par le courrier électronique enfin, si on dispose du même type d’information
que dans le cas d’Usenet, celles-ci sont plus facilement falsifiables. On
est donc exposé à un risque de courrier ‘anonyme’ non négligeable. Des
solutions utilisant des moyens de chiffrement adaptés permettent
d’identifier formellement son correspondant, mais ces moyens sont soumis en
France à une règlementation très stricte et qui soulève des questions de
libertés individuelles qui dépassent de loin le dossier des activités
neo-nazies sur les réseaux électroniques.

\item(8) Document joint « Quelques éléments de jurisprudence européenne et
internationale », déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé
UEJF.

On peut ajouter à ce document (voir aussi (2)) qu’il est possible d’effacer
un article ‘posté’ sur Usenet. Une telle possibilité, normalement réservée à
l’émetteur de l’article, est accessible à toute personne qui connait le
fonctionnement technique d’Usenet sans grand effort. C’est pourtant une
possibilité qui n’est que très rarement utilisée, puisque permettant à
n’importe qui d’effacer les articles de n’importe qui d’autre, ce type
d’action est fort mal vu d’une ‘communauté’ hypothétique des utilisateurs
d’Internet.

\item(9) Document joint: Rapport Bangemann au Conseil Européen intitulé
« Recommendations to the European Council Europe and the global information
society ».

\item(10) Document joint: « Compte-rendu de la première audience au TGI
(15/03/96) », déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé
UEJF. On notera aussi que M. le Ministre des Télécommunications, François
Fillon, disait récemment lors d’une conférence de presse (Paris, 23 avril) a
promis un statut spécifique pour les fournisseurs d’accès à Internet en
France, dit « exception de fourniture ». Conférence de presse rapportée par
des journalistes de Libération et de Planète Internet dans un article
diffusé sur Usenet intitulé « M. Internet va au web bar » (cj).
\end{itemize}

\section*{Ce que n’est pas Internet.}

\subsection*{- Internet n’est pas une « zone de non-droit ».}

Toute publication faite sur Internet est soumise aux règles du droit. Droit
du pays de l’émetteur de la publication, droit du pays depuis lequel est
faite la publication (car il est possible pour un citoyen français de
diffuser une information depuis une machine située en dehors du territoire
national), tous s’appliquent. On se trouve donc avec plus de règles de droit
applicables à Internet qu’à tout autre infrastructure de communication.

« Dans le domaine de l’incitation à la haine raciale, des lois existent dont
rien ne justifie le renforcement. La difficulté provient de ce que ces lois
sont rendues inopérantes par le caractère mondial du réseau. On ne la
résoudra pas en changeant la loi » nous dit l’AFTEL (1).

En effet, si des lois existent, et qu’on constate une difficulté réelle dans
leur application (2), cette difficulté est surtout dans la prévention. S’il
est difficile de publier en France des textes illégaux, cet acte devient
facile sur certains des médias utilisant Internet. D’autant plus facile
d’ailleurs qu’on aura fait passer auprès du public cette idée de « zone de
non-droit », qui peut renforcer la motivation ou diminuer les inhibitions du
raciste qui vient chercher un public nouveau sur Internet.

Pourtant la loi ne s’applique pas a-priori, mais après constatation d’une
infraction. En ce sens, elle est tout à fait applicable à Internet, comme à
toutes les infrastructures de communication (2).

\subsection*{- Internet n’est pas un « repaire de neo-nazis ».}

Pas plus qu’il n’est un repaire de pédophiles ou de pirates, d’ailleurs. Ces
activités existent, et il n’est pas question de le nier ou de vouloir en
minimiser l’importance. Pourtant ces dérives sont peu nombreuses, bien que
très médiatisées. Il suffit de vouloir chercher un discours raciste ou
neo-nazi sur Internet pour découvrir qu’il est bien plus facile de trouver
des sites d’information anti-raciste ou de combat anti-négationniste (3 et
4) que des sites explicitement racistes ou négationnistes quand il s’agit du
Web (5).

Certains groupes de discussion francophones (Usenet (5)) sont par période le
terrain de diffusion de textes révisionnistes ou neo-nazis. On connait en
particulier 4 ou 5 individus qui reviennent assez souvent chercher là le
débat sur des sujets comme le racisme ou le négationnisme (6). Mais le média
Usenet est par essence un lieu ouvert dans lequel peuvent s’exprimer ceux
qui veulent expliquer et démonter ces thèses. Contre cette poignée bien
connue on trouve des centaines de bénévoles toujours prêts à se battre
contre des discours de haine et d’exclusion.

Aujourd’hui, la médiatisation faite autour d’Internet est axée sur des
dérives pourtant exceptionnelles et marginales. Demain, on peut l’espérer,
elle se fera autour des espoirs que soulèvent ces nouveaux moyens d’accès au
savoir.

\section*{Ce qu’est Internet.}

\subsection*{- Internet est une infrastructure, pas un média.}

S’il est une analogie qui permet de mieux saisir la complexité des réseaux
informatiques, c’est celle de la diffusion hertzienne: une technologie sur
laquelle repose de nombreux médias, tous différents, et que la loi considère
différemment selon qu’il s’agit de la télévision ou de la CB, par exemple.
De même, Internet n’est qu’un support pour de nouveaux médias. On assimile
trop souvent le Web et Internet, confusion engendrée par sa plus grande
facilité d’accès par rapport aux autres médias utilisant Internet, et
entretenue par des logiciels conçus pour présenter sous une seule et même
interface des médias pourtant très différents.

Pourtant il n’y a pas d’autre rapport entre le Web et le courrier
électronique que les ‘tuyaux’ par lesquels ils passent. Si l’on cherche à
définir des responsabilités éditoriales, par exemple, comment le faire si
l’on confond un média privé comme le courrier électronique, qui ne concerne
que l’émetteur et le récepteur du message, tous deux identifiés, et le Web,
média par lequel un ‘éditeur’ met à la disposition de tous un message, et
pour lequel seul cet ‘éditeur’ est identifiable?

Cette infrastructure en pleins évolution est appelée à devenir le support de
nouveaux médias, dont personne aujourd’hui ne peut prédire quelle forme ils
prendront et quelles responsabilités ils engendreront. Il serait dangereux
de ne pas tenir compte de cette évolution dans les décisions qui seront
prises.

\subsection*{- Internet est un outil de diffusion du savoir.}

Une évidence qui n’en reste pas moins un non-dit formidable au milieu de la
tempète médiatique qui entoure ce réseau. Réseau dont la raison d’être est
pourtant bien le partage, non seulement de moyens informatiques et de
télécommunication, partage qui permet une économie d’échelle, mais aussi du
contenu, souvent informatique (diffusion de logiciel, de techniques) par
essence mais de plus en plus ouvert aux autres domaines à mesure qu’il se
démocratise.

Par les économies d’échelles qu’il permet, Internet offre un moyen de
diffusion du savoir à très bas prix. La mise à disposition de l’information
n’est plus une question d’argent, mais de décision stratégique ou politique.
En l’absence de répercussions financières, la facilité de cette décision
explique en partie la vitesse du développement technique dans le domaine
informatique. Bien sûr, ce coût très peu élevé et la facilité de l’accès
permet aussi à certains de diffuser des idées racistes à un public plus
large. La question qui est donc posée aujourd’hui est de savoir s’il faut
restreindre, voire interdire, une telle possibilité d’information à bas prix
parce que cette possibilité peut aussi être utilisée pour diffuser des
discours d’exclusion.

\section*{Les moyens d’actions.}

La loi, s’appliquant à Internet, permet déjà d’agir contre les activités
illégales qui pourraient s’y dérouler. Par nature, il est presque toujours
possible de remonter à la source d’une information diffusée sur Internet. La
source étant identifiée (7), il devient plus facile d’agir contre un
négationniste qui s’y exprime que contre la même personne qui diffuserait
des tracts de manière anonyme.

Il est difficile pourtant de rétablir un ordre public dérangé par une
activité illégale. Un message, une fois diffusé sur Internet, n’est pas
facilement stoppé (8), pas plus qu’un message diffusé par voie hertzienne
n’est aisément ‘récupérable’. La nature internationnale du réseau fait de
plus que la justice ne peut pas toujours punir un contrevenant. Ceci
n’interdit pourtant pas toute possibilité d’action. Action de formation
d’abord, qui est conseillée depuis longtemps au niveau européen (9) mais
pourtant encore très insuffisante. Une telle action, déjà peu présente sur
le réseau lui-même, est presque inexistante en dehors d’Internet. Elle
permettrait pourtant d’éviter la passivité de l’utilisateur potentiel face à
une information non vérifiée, ou à laquelle il est impossible de répondre
(cas du Web, voir (5)).

Techniquement, il est difficile aujourd’hui d’empêcher ma diffusion d’une
information sur Internet. L’identification, si elle est possible en théorie
(7), reste soumise à l’expertise humaine et n’est pas automatisable en
pratique (8 et 10). Il est donc impossible de filtrer de manière simple et
automatique les informations à leur source. il faudrait pour celà soit
pouvoir analyser sémantiquement tout message automatiquement, ce qui reste
utopique aujourd’hui (cas de Compuserve en Allemagne, voir (8)), soit
pouvoir identifier formellement un émetteur connu pour publier des messages
illégaux, ce qui est possible mais très aisément contournable (8), et
arbitraire, car le fait de filtrer les messages en provenance d’un site
n’interdit pas seulement la réception des messages incriminés, mais celle de
tout message qui en serait émis.

Mais de même qu’il est envisagé pour la protection des mineurs de créer un
moyen de filtrage personnel au niveau de l’utilisateur pour la télévision
(contrôle parental), il est possible de créer des filtres informatiques
configurables à discrétion par l’usager pour que seules des informations
voulues puissent être consultées. L’évolution technique de ces filtres est
rapide, et devrait arriver au niveau du grand public dans un délai de
l’ordre d’un an. Si un tel filtrage est difficile, voir impossible, au
niveau du fournisseur d’accès, car concernant un grand nombre d’abonnés aux
centres d’intérêts variés, il permet au niveau de l’utilisateur final une
grande souplesse et un excellent niveau de protection.

Il est clair pourtant que la décision qui sera prise ne doit pas l’être à la
légère. Il semble d’ores et déjà nécessaire de créer un statut pour les
intermédiaires, qui les délivrerait d’une responsabilité qu’ils ne peuvent
techniquement assumer (8 et 10). Mais un tel statut ne doit dépendre que du
média, par de l’infrastructure. Il est impensable par exemple de rendre un
fournisseur d’accès responsable du courrier électronique échangé grace à ses
services, alors qu’il est possible et raisonnable de le considérer comme en
partie responsable de pages Web qu’il mettrait à la disposition du public en
connaissance de cause sur un espace physique lui appartenant (en faisant
donc la distinction entre les pages physiquement hébergées sur les machines
appartenant au fournisseur, et celles situées n’importe où ailleurs dans le
monde mais accessibles via ses services).

Un filtrage ou une interdiction d’un message en particulier semble
techniquement impossible à la source sans tranformer en profondeur la
technologie utilisée sur Internet. Une telle tranformation n’est guère
envisageable à court terme compte tenu de la taille de ce réseau, et
remettrait en cause ce qui en fait la spécificité et qui permet justement
cette économie d’échelle qui en fait l’intérêt majeur. Il faut donc
envisager d’autres actions qu’une interdiction, et il semble impossible d’en
envisager d’autre que de formation et d’information.

\begin{itemize}

\item(1) « Internet, les enjeux pour la France », éditions A JOUR, ISBN 2-903685-67-3.
Ce document a été présenté en octobre 1995 comme un livre blanc adressé aux
pouvoirs public par l’Association Française de la Télématique.

\item(2) Document joint: article intitulé « Le Grand Secret » le plus partagé du
monde, rédigé par Valérie Sédallian et Philippe Langlois, Avocats au Barreau
de Paris, et paru dans le magazine Planète Internet N.6.

Un autre cas intéressant s’est produit depuis cette histoire et montre
l’applicabilité de la loi en l’état, mais les difficultés pratiques liées à
cette application. Dans une ordonnance de référé rendue le 16 avril 1996, le
Tribunal de Grande Instance de Paris (REF 54240/96) fait injonction à Yves
Rocher de ne plus diffuser sur Internet de documents relatifs à ses griefs
contre le groupe BNP-BANEXI, et d’affirmer que tout article précédemment
diffusé par ce biais a été effacé. On constate donc que la loi a pu
s’appliquer en l’espèce sans problème, et que le « vide juridique » si souvent
invoqué n’existe pas. Pourtant l’application de cette ordonnance par Yves
Rocher risque fort d’être difficile, puisque ses articles, diffusés sur
Usenet, ont été diffusés sur tous les ordinateurs du monde qui reçoivent les
groupes de diffusion en langue française, et archivés sur certains d’entre
eux situés à l’étranger, et sur lesquels Yves Rocher n’a aucun moyen
d’action. Le juge aura donc à décider de la bonne foi du défendeur quant à
ses efforts pour faire disparaitre toute référence à ces articles.

\item(3) Document joint: copie d’écran du service mis en place par Michel
Fingerhut présentant des « ressources documentaires sur le génocide nazi zt
sa négation ».

\item(4) Document joint: résultat d’une recherche par mot-clé sur les principaux
sites de recherche.

\item(5) Document joint: « Présentation succinte d’Internet et de ses services »,
déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé UEJF. On pourra
aussi reprendre les exemples cités en (2).

Le Web est incontestablement le média le plus ‘dangereux’ du point de vue de
la diffusion d’idées racistes, fascistes, ou de la propagande sectataire.
Par essence, il est impossible d’apporter la contradiction à l’endroit où
sont mis à disposition les textes en cause, puisque cet endroit est un lieu
privé appartenant à l’émetteur ou à son fournisseur d’accès. La notion de
‘droit de réponse’ y est donc inconnu, ou au mieux soumis à la bonne volonté
de l’éditeur des textes.

\item(6) Document joint: article posté sur le groupe de discussion (Usenet)
fr.soc.divers par M. Léon Jourdain ayant pour titre « La toute puissance du
Lobby Juif. » le 27 avril 1996 et exemple de réponse documentée faite le même
jour au même endroit.

\item(7) Dans l’article cité en (6), on trouve les références suivantes:

Path:brainstorm.eu.org!speedy.grolier.fr!rain.fr!jussieu.fr!univ-lyon1.fr!howland.reston.ans.net!EU.ne
From: leon.jourdain@ping.be (leonjourdain)
Newsgroups: fr.soc.divers,soc.culture.belgium
Subject: La toute puissance du Lobby Juif.
Date: Sat, 27 Apr 1996 08:53:03 GMT
Organization: EUnet Belgium, Leuven, Belgium
Lines: 27
Message-ID: <4lsltc$n39@news1.Belgium.EU.net>
NNTP-Posting-Host: dialup27.namen.eunet.be

La première ligne indique par quelles machines est passé cet article pour
parvenir sur l’ordinateur de Laurent Chemla (nommé brainstorm.eu.org). Il
faut signaler que ce chemin sera différent pour chacun, mais que la source
de l’article (la dernière machine citée, chaque machine étant nommée et
chaque nom étant séparé du suivant par un !) est la machine Belgium.EU.net,
machine appartenant à un grand fournisseur d’accès en Belgique, connu et
identifié sous le nom de « ping.be ».

La seconde ligne indique le compte (l’adresse sur Internet) depuis lequel a
été posté cet article sur la machine citée en 1ère ligne. Il s’agit du
compte de M. Léon Jourdain, qui est un client de « ping.be ».

La 3ème ligne indique que cet article a été posté dans 2 groupes de
discussion distinct: fr.soc.divers, groupe de « discussion diverses sur des
des sujets sociaux » en français, et sur « soc.culture.belgium », groupe
équivalent concernant la Belgique. Les lecteurs de ces deux groupes auront
donc eu accès à cet article si son titre les a intéressés.

Les lignes suivantes sont les lignes de description de l’article: sujet,
date, organisation, nombre de lignes et identifiant unique de cet article.

La dernière ligne est le nom de l’accès physique utilisé (modem) chez le
fournisseur d’accès. Cet élément, ainsi que la date, est très difficilement
falsifiable et il est donc possible pour le fournisseur d’accès « ping.be » de
vérifier si le client connecté chez lui sur cet accès à cette heure précise
était bien M. Léon Jourdain, identifié formellement puisque signataire d’un
contrat de fourniture d’accès à Internet.

Tout article posté sur Usenet comporte des informations identiques qui
permettent une identification quasi-formelle de leur émetteur.

Sur le Web, l’identification est du même ordre. Il faut en effet pour
diffuser une page par ce média disposer d’une machine reliée en permanence
au réseau Internet et qui puisse faire office de ‘serveur’. Mais relier une
machine à un tel réseau nécessite des moyens physiques et des accords
techniques avec le reste du réseau qui rendent leur propriétaire, le plus
souvent des fournisseurs d’accès à Internet, facilement identifiable. Charge
alors au possesseur de la machine d’identifier l’utilisateur qui a mis en
place les pages incriminées.

Par le courrier électronique enfin, si on dispose du même type d’information
que dans le cas d’Usenet, celles-ci sont plus facilement falsifiables. On
est donc exposé à un risque de courrier ‘anonyme’ non négligeable. Des
solutions utilisant des moyens de chiffrement adaptés permettent
d’identifier formellement son correspondant, mais ces moyens sont soumis en
France à une règlementation très stricte et qui soulève des questions de
libertés individuelles qui dépassent de loin le dossier des activités
neo-nazies sur les réseaux électroniques.

\item(8) Document joint « Quelques éléments de jurisprudence européenne et
internationale », déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé
UEJF.

On peut ajouter à ce document (voir aussi (2)) qu’il est possible d’effacer
un article ‘posté’ sur Usenet. Une telle possibilité, normalement réservée à
l’émetteur de l’article, est accessible à toute personne qui connait le
fonctionnement technique d’Usenet sans grand effort. C’est pourtant une
possibilité qui n’est que très rarement utilisée, puisque permettant à
n’importe qui d’effacer les articles de n’importe qui d’autre, ce type
d’action est fort mal vu d’une ‘communauté’ hypothétique des utilisateurs
d’Internet.

\item(9) Document joint: Rapport Bangemann au Conseil Européen intitulé
« Recommendations to the European Council Europe and the global information
society ».

\item(10) Document joint: « Compte-rendu de la première audience au TGI
(15/03/96) », déjà soumis au Comité dans le dossier concernant le référé
UEJF. On notera aussi que M. le Ministre des Télécommunications, François
Fillon, disait récemment lors d’une conférence de presse (Paris, 23 avril) a
promis un statut spécifique pour les fournisseurs d’accès à Internet en
France, dit « exception de fourniture ». Conférence de presse rapportée par
des journalistes de Libération et de Planète Internet dans un article
diffusé sur Usenet intitulé « M. Internet va au web bar » (cj).
\end{itemize}

  One Response to “Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth”

  1. […] d’entre vous trouveront sans doute quelques similitudes entre ce billet et un précédent tout aussi vieux qu’eux (houlala, 13 ans déjà). C’est normal : considérez ceci comme […]

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