Sep 152009
 

En suivant les débats sur HADOPI, je me disais… 28 millions d’abonnés à Internet en France. Plus d’un foyer sur deux. Un chiffre banal, après tout. Quoi de plus normal de nos jours? Et pourtant, qui peut dire ce que signifie le fait que 28 millions de personnes aient désormais, dans ce pays, accès à la parole publique?

Que deviendra le monde associatif et politique quand il verra arriver le flux de millions de gens désormais habitués à prendre la parole ?

Car la révolution, la vraie, n’est pas à chercher dans l’aspect technologique de la chose. C’est le côté sociologique qui est passionnant. Penser un avenir où tout citoyen pourra non seulement débattre publiquement de ses opinions, mais aussi apprendre à les confronter à d’autres, mais encore réussir à se convaincre que sa parole est toute aussi importante que n’importe quelle autre.

Que sera un monde dans lequel les enfants n’auront plus à demander la parole pour l’obtenir, au gré des parents et des maîtres, puis des médias et des politiciens ?

Est-ce que nos dirigeants ont bien mesuré la chose ? J’en doute. En s’attaquant à la liberté d’expression sur Internet, comme ils le font en critiquant et en hadopisant, ils ne font pas que se heurter à une technologie définitivement non régulable. Ils lèvent aussi, contre eux, toute une génération de futurs acteurs qui seront devenus conscients de leur pouvoir et de leurs actes, et qui auront été formés comme jamais au fonctionnement de nos institutions, comme le sont tous les gamins qui ont suivi les débats et les méandres du feuilleton d’Hadopi.

Ils élèvent, de fait, tous ceux qui les enterreront par des compétences acquises à la dure – et autre part que sur les bancs bien sages de Science-Po et de l’ENA. Car que dire sinon la désolation que provoque l’écoute de ces politiciens professionnels, visiblement dépassés par un dossier qu’ils ne maîtrisent pas, qui avouent leur méconnaissance totale de cet outil pourtant utilisé par la majorité de leurs électeurs, et qui tremblent de peur devant cette évolution qu’ils n’ont ni voulue ni prévue ?

Comment croyez-vous que va réagir l’étudiant né dans le monde numérique quand il écoute un député annonant des arguments débiles (« dans 20 ans plus personne n’achètera de CD », quel visionnaire!), mauvais orateur, répétant à l’envi des antiennes largement démontrées comme étant de purs mensonges ? Que croirez-vous qu’il se dira, sinon qu’un député grassement payé à ne presque rien faire ne mérite pas son poste ?

Car c’est vers ça qu’on se dirige, si vous m’en croyez. La révolution ne viendra pas des urnes, ou pas seulement, mais bien surtout de la réaction non aux idées mais à l’indigence des débats publics quand on les compare à la richesse des débats numériques.

Combien de bloggeurs d’aujourd’hui seront nos penseurs de demain ? Et quel talent, si l’on les compare à nos tristes habitués des plateaux télé. Quel verbe que celui d’un simple utilisateur de Twitter, habitué à faire passer son opinion en seulement 140 caractères, quand on le compare aux discours mal rédigés par des attachés parlementaires bien palots.

Et que croyez-vous que pensent tous ces utilisateurs d’Internet, lorsqu’ils s’envoient des adresses de billets tous plus intelligents les uns que les autres, quand ils constatent la bétise flagrante de ceux qui sont sensés les représenter mais ne représentent finalement que les intérêts des grands industriels pourvoyeurs de financements politiques et de futures reconversions dans des postes de parachutistes dorés ?

Certes, il faudra du temps. On ne passe pas du jour au lendemain de MSN à la politique. Mais ce temps là sera passé en lutte, et ces luttes accoucheront d’hommes d’État, je veux le croire, plutôt que d’hommes politiques. Elle seront menées contre la réaction à une évolution nécessaire et inéluctable de nos sociétés, et parce qu’elle se heurteront à cette réaction, elles ne feront guère de réactionnaires. Et les premiers mouvements comme les différents « partis pirates » d’Europe ne sont que les prémisses d’un futur qui balaiera je l’espère la caste des parlementaires, idiots inutiles de la République.

C’est vrai : nul ne peut dire ce qu’il adviendra. Mais je peux sans trop de risque, après avoir observé l’évolution d’Internet depuis près de 20 ans maintenant – 20 ans déjà – prédire que le futur ne sera pas rose pour ces politiciens qui n’ont jamais connu de réelle concurrence et qui vont devoir s’y résigner.

  5 Responses to “La concurrence de la parole”

  1. Pas mal ton analyse, mais crois-tu le peuple français assez courageux pour se rebeller ? Personnellement j’en suis capable mais dès que la plupart des français aiment leur confort et n’aiment pas prendre trop de risques…

    C’est là où Internet intervient, tout le monde peut parler librement avec un minimum de risques, donc la révolution pourrait bien y naître, mais de là à dire qu’elle sortira du net pour aller devant l’Elysée c’est extrapoler, comme on l’a vu lors de la loi Hadopi : il y a eu un grand mouvement sur Internet mais peu de remou dehors.

  2. Pour ce que je peux en lire, les plus inquiets pour le moment sont moins les parlementaires (qui en effet y comprennent trop peu pour vraiment s’émouvoir) que les patrons de journaux qui ont laissé leurs papiers descendre à un tel niveau de clichés en boucle et d’absence d’enquête qu’ils sont dépassés par les amateurs qui ont vraiment envie de comprendre et qui vont chercher les bonnes infos avant de les transmettre à tous. Ce n’est pas un mince bénéfice non plus.

  3. Comment ont reagi les proprietaires de Kindle qui se sont vu subreptissement retirer leur George Orwell, Big Brother, pendant leur sommeil? Eh bien tres rapidement, et vigoureusement, ils ont eleve la voix et ont contraint Kindle a faire de plates excuses. Amazone a compense la perte et a meme du faire face au proces d’un jeune etudiant qui s’est plaint davoir perdu ses notes en marge de lecture.
    C’est decidement d’une grande nouveaute. Internet donne la parole aux citoyens-consommateurs.
    Comment ont reagi les iraniens face a la supercherie des elections? Ils ont proteste, ils ont alertes leur monde entier, ils ont reveille et appele au secours les medias pour venir a leur soutient. Internet leur a donne la voie qui leur manquait.
    Commenet a reagi le gouvernement iranien face aux mouvements de revoltes: terreur de la diaspora repere sur les sites internet, arrestations des opposants, identification des manifestants a partir des photos publiees sur internet. Des sites ont ete crees pour remunerer la delation: reconnaitre les manfestants contestataires a partir de photos publiees sur le net.
    Twitter et Facebook ont aide les contestataires pour le meilleur et pour le pire.
    Internet les a aide comme il les a manipule, reminere, tue meme.
    Internet est magique certes, internet ouvre des voix magiques, certes. Internet donne la voix certes.
    Mais ca reste un monde, virtuel mais fait d’hommes et de femmes reels, comme tous les mondes, avec ses zones d’ombres, ses joies et ses bonheurs qu’il faudra apprendre a maitriser mais q’on aura grand peine a faire taire.

  4. Internet est un outils qu’il est impossible de muselé sans se faire ramoné profondément par les utilisateurs.

  5. Oui mais en quoi la sociologie diffère de la constatation au sujet du-nouveau-media-qui ? C’est juste un commentaire.
    çà passe sous le manteau, c’est un peu l’idée. En dehors des maîtres et des représentants.
    Oui mais çà passe bien la barrière de ce que « les autres » vont comprendre. Les autres pouvant être au choix « le tas de chouettes copains », « les happy few qui savent que là çà voulait dire autre chose », etc,…
    Donc il y a bien quelque part un maître des dialectes.
    Toujours la bonne vieille aporie anarchiste. çà serait super si la langue ne faisait pas autorité. Mais comment le dire ?
    En attendant les vieilles figures du travail d’une souveraineté qui prend comme problème à résoudre la contre-archie des maîtres et des enseignants abusifs, en un mot, l’état de la représentation républicaine, les députés, les enarques, les aubergines, tous les corps constitués, jusqu’aux poseurs de sacs plastique poubelle de la mairie de Paris, l’état dans tous ses états, tous ces gens qui courent les rues avec leur manteaux ne seraient-ils pas le contre-exemple d’un dialecte sans maître, dont on peut se demander si ce n’est pas lui, le Maître, mais bon, tous ces obscurs serviteurs de l’état des émancipés, en attendant, sont-ils vraiment vilipendables ? Est-ce qu’ils ne comprennent rien à la nouvelle circulation sous le manteau, ou est-ce la nouvelle circulation sous le manteau qui ne prend pas la mesure de la souveraineté républicaine ? Qui est justement une élaboration complexe entre deux écueils d’un ancien régime : la représentation abusive, et une anarchie sans représentation qui n’est qu’un régime de l’arbitraire (royal).
    Soit dit pour conclure : la rhétorique parlementaire, comme son nom l’indique, est juste un peu plus plus subtile que la palabre libre. C’est tout con : la palabre, c’est elle. Palabre qui ne va pas sans son arbre, du côté des jardins du palais (c’est le Bourbon).

Leave a Reply to contrepied Cancel reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

(required)

(required)