Fév 021997
 

Je suis venu vous dire qu’on ne peut pas faire disparaitre les contenus racistes et  négationnistes d’Internet sans faire disparaitre Internet, pas plus qu’on ne peut empêcher ce  type d’expression d’utiliser n’importe quelle technologie sans faire disparaitre cette  technologie.

Pour faire cesser la diffusion de tels documents dont l’émetteur est souvent difficilement  identifiable, ou habite à l’étranger, la mauvaise idée la plus courament exposée est d’attaquer  ceux qui fournisent aux lecteurs de ces documents leur accès à Internet. C’est la  pire des solutions, et c’est le thème principal de mon intervention que de le démontrer.

Pour les contenus émis depuis la France

Nous avons des lois qui permettent d’attaquer l’émetteur d’un contenu raciste ou  négationniste lorsque celui-ci est connu. Dans ce cadre, attaquer tous les fournisseurs  d’accès français pour avoir permis la diffusion est inutile. Si on doit attaquer un fournisseur  d’accès, ce doit être celui qui a fourni les moyens de diffusion de l’émetteur, mais il faudrait  que celui-ci ait été au courant du délit.

Or, pour avoir connaissance d’un délit possible, il faudrait que le fournisseur d’accès puisse  savoir avant de diffuser une page ce qu’elle contient. Ce qui est possible à petite échelle ne  l’est pas dans le cas ou un fournisseur a plusieurs milliers, voire plusieurs millions, de clients: il devra se comporter comme un directeur d’édition, et ne plus laisser ‘passer’ que les textes  qu’il aura approuvé au préalable. Ce qui signifie qu’il devra lire tout ce que ses clients  transmettront, qu’il s’agisse de courrier, et messages destinés aux forums publics, voir des  échanges ‘en direct’. Sans parler de liberté d’expression, la seule confidentialité du courrier  interdit une telle solution, si elle était matériellement possible, et elle ne l’est pas.

On ne peut donc contraindre le fournisseur à connaitre tout ce qu’il diffuse, et il n’est donc  pas possible de le tenir pour responsable de ce qu’il n’a pas les moyens de connaître.

Même lorsqu’il a connaissance d’une page, tenir un fournisseur pour co-responsable lorsque  l’éditeur est connu est dangereux, et inutile. Inutile pas seulement parce que le responsable   de la diffusion est connu, mais aussi parce que la punition qu’encourrait son fournisseur ne   pourrait faire office d’exemple, puisque ni lui ni ses confrères n’auront les moyens de tenir  compte de cet exemple, et dangereux parce que si un fournisseur est responsable, alors on  considère qu’il a les moyens de juger en lieu et place de la justice de ce qui est illégal ou pas. Or dans le cadre de l’expression publique, la Déclaration des Droits de l’Homme précise que  seule la justice peut juger de l’illégalité d’un propos. Nul autre entité ne le peut, ni le fournisseur, ni un supposé organisme administratif qui serait mis en place pour décider des  pages ‘coupables’.

Le seul cas, à mon avis, dans lequel un fournisseur doit pouvoir ‘couper’ à priori un contenu est lorsqu’il a eu connaissance du fait que le contenu est émis à partir de ses propres  machines, d’une part, et d’autre part lorsque l’éditeur de ce contenu n’est pas identifiable, et à  ce titre ne peut être poursuivi directement.

Pour les contenus émis depuis l’étranger

S’il est tout à fait possible qu’une décision judiciaire contraigne les fournisseurs d’accès à ne plus donner accès à telle ou telle page émise depuis l’étranger, l’application d’une telle  décision contraindrait en pratique la France à se fermer à toute information, quelle qu’elle soit, en provenance de l’étranger. En effet, s’il est possible de couper toute possibilité d’accès à une page, il faudrait pour le faire soit couper l’accès au site entier qui héberge cette page. Si donc une page négationniste était hébergée en amérique sur Compuserve, il faudrait alors interdire l’accès aux quelques millions de pages innocentes hébergées par ce fournisseur. Soit, en employant des techniques plus élaborées, filtrer l’accès aux pages de ce fournisseur au niveau des logiciels utilisés par les fournisseurs d’accès. Mais d’une part ces logiciels ne  permettent pas la mise en place de telles ‘listes noires’, et ne le permettront pas pour encore longtemps eut égard à la puissance à mettre en oeuvre pour qu’un logiciel puisse  reconnaitre, au milieu des milliards de bits qui transitent chaque jour, ceux qui représentent le nom de la page en cause, mais aussi et surtout nous savons, par l’exemple, que de telles solutions vont à l’encontre du but recherché.

Exemple

Deutsche-Telekom et WIN (Wissenschaftsnetz, réseau allemand pour la recherche,  comparable au réseau national français pour l’enseignement et la technologie, RENATER)  étaient l’objet d’une procédure d’information du procureur de Mannheim au Baden-Wuertemberg et ils ont bien filtré l’accès à un site canadien dans la crainte d’une procédure  (avant même que le procureur en aie fait la demande), mais le lien a été restauré après 48 heures, puis filtré à nouveau, puis à nouveau remis en place, définitivement. Le service  incriminé fut, à cette occasion, déplacé par ses auteurs non en un seul autre endroit mais en  plusieurs. L’action en question s’est donc révélée inefficace et souligne au contraire le danger  consistant à faire de la publicité à un service néo-nazi en voulant le censurer à la réception plutôt qu’à l’émission.

Nous voyons donc qu’au lieu de rendre impossible tout accès à une information, la tentative  de coupure à nos frontières n’aura comme seul effet de voir la page être dupliquée sur  d’autres sites, n’importe ou dans le monde, et la polémique entourant l’affaire donner toute la  publicité possible à cette page, ce qui est tout le contraire du but recherché.

Reste donc la solution, à priori absurde mais que je tiens cependant à poursuivre à son  terme, de couper entièrement le réseau informatique français au reste du monde. Après tout  il s’agit là d’un choix de société, une société dans laquelle je ne choisirais pas de vivre, mais  mes opinions ne sont pas celles de toute la population. Nous aurions ainsi en effet réussi à ne  plus voir ce que nous avons vu tout à l’heure. Mais pour autant, ces pages continueraient  d’exister, et d’être accessible au monde, hormis la France. Et peut-être pire encore, ceux qui, depuis la France, se battent contre ceux qui diffusent ce type de chose ne pourraient plus le  faire, faute de connaitre son ennemi. Est-ce donc une solution que de choisir d’ignorer un  mal, de ne plus le voir, pour quiconque n’est pas une autruche?

Conclusion

De tout le raisonnement qui précède, une conclusion découle. Cette conclusion est qu’on ne  peut pas reprocher au fournisseur d’accès ce qui n’est pas de sa responsabilité, si cette  responsabilité suppose qu’elle le contraigne à cesser toute activité, et contraigne la France à ne plus utiliser Internet comme le fabuleux outil qu’il est, tant qu’il n’est pas détourné.

Mais alors que faire? Déjà, puisque le responsable ne doit pas être celui qui donne accès à une information, pourquoi ne pas rechercher celui qui, de son propre chef, la diffuse. Il est à  l’étranger, soit, mais puisque son activité est en France un délit, et puisque la France  considère qu’un délit commis en partie sur son sol est soumis à son droit national, il est tout à fait possible de poursuivre, si ce n’est de punir. De telles poursuites, si elles n’ont aucun  autre effet, auront au moins celui de fournir un moyen de dénoncer et de rappeler la vérité.

Ensuite et surtout, utiliser et investir ce nouveau moyen mis à notre disposition pour  informer, expliquer, rappeler les faits historique, dénoncer les mensonges et dire la vérité.  Les associations représentées ici savent faire ce travail d’information, et doivent le faire aussi sur Internet, là où est diffusée l’horreur, dans les forums de discussion pour contredire le  négationniste, en créant des sites d’information, et en diffusant leurs adresses à ceux qui, au  jour le jour, reçoivent et s’indignent de recevoir la propagande négationniste et raciste. Ceux-là à leur tour disposeront alors des moyens de combattre la haine, mieux qu’ils ne  peuvent le faire sans le soutien de vos associations.

Pour finir, mon association veut aider à ce combat, en aidant d’autres associations de son mieux, en fournissant à ceux qui cherchent les vrais coupables tous les moyens techniques  que nous connaissons pour pouvoir remonter jusqu’à eux, pour les poursuivre, eux et pas les fournisseurs, dont je ne suis en aucun cas le représentant, mais un simple citoyen, inquiet d’une dérive qui, en responsabilisant ceux qui donnent l’accès à l’information, les contraint à juger en lieu et place de la justice de la légalité de l’expression publique, pourtant protégée par la déclaration des droits de l’homme et notre constitution comme n’étant que du seul recours de la justice, et en aucun cas d’un commerçant, qui deviendrait un censeur de fait, si  tant est qu’il puisse encore exercer, et ce faisant donner accès à tout ce qu’Internet propose  de bien.

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