Mai 251995
 

Bienvenue. Bienvenue dans un monde où progrès et performances vivent en harmonie, le monde fabuleux d’Internet.

Ou plutôt, pour en revenir aux origines de nos bateleurs de foire et salons d’aujourd’hui : « Entrez découvrir la face cachée du monde ». Et tant pis si le chapiteau n’abrite que quelques foetus dans du formol. Vous aurez payé pour voir, de toutes façons.

Je ne veux pas dire qu’il n’y ait rien à voir sur Internet. Jusqu’à ces dernières années au contraire, il y avait vraiment un autre monde, caché derrière. Mais jusqu’à ces dernières années (« Mon ancien micro, ça il ne le faisait pas! ») peu d’élus avaient accès à ce monde là. Ces élus avaient une bonne raison: ce nouveau monde, ils le créaient.

Aujourd’hui, (« Là mon micro est connecté à Internet ») on propose à tout un chacun d’avoir enfin accès à ce monde, dont la plupart des gens se passait parfaitement, on se demande bien comment. Parfait. Un monde caché c’est fait pour être exploré non? Pourtant certaines  questions devraient se poser, que personne pourtant ne pose. Alors je vais le faire. Tant pis pour vous.

La mère de toutes les questions, quand on veut vous vendre quelque chose, c’est « pour quoi faire ». Bien sur si on veut croire les vendeurs, les bonnes raisons ne manquent pas (« Il a un multimédia visiblement puissant »).

Sur Internet on trouve de l’information. Cette information est un enjeu économique important, il est donc important pour ceux qui ont besoin de cette information d’avoir accès à Internet. Mais vous, avez-vous besoin du genre d’information qu’on trouve sur Internet ? Je répond non (j’ai prévenu avant: tant pis pour vous), pour la majeure partie des lecteurs de ce magazine.

Vous voulez y chercher la dernière version de votre logiciel préféré? Celle-ci sera disponible, par toutes sortes de moyens, plus faciles, le jour suivant. Vous voulez vous tenir au courant des derniers potins concernant votre fabricant de microprocesseur préféré? Il ne s’agit déjà plus d’Internet, mais d’Usenet, déjà accessible et ouvert à tous depuis fort longtemps et par des moyens moins onéreux, quoique bien moins médiatisés.

Non, ce que vous voulez c’est participer à un phénomène de mode en allant vous balader dans un musée virtuel à grands coups de souris, ou en essayant de voir des danseurs de tango tanguer sur votre écran, et tant pis si ça doit coûter si cher, et tant pis si vous vous en lassez en quelques jours.

C’est l’avenir, puisqu’on vous le dit.

Le seconde question que vous devriez vous poser, c’est de savoir qui est celui qui veut vous vendre Internet, et pourquoi lui, et pourquoi aujourd’hui (je sais, ça fait trois questions). Je dis, moi, que hormis le fait bien évident que ce vendeur veut gagner de l’argent (je n’ai  absolument rien contre ce point), certaines idées pourraient bien lui trotter dans la tête. Car ce vendeur a très vite découvert qu’Internet est un média sans contrôle.

Un média à travers lequel il pourra faire passer son message commercial sans filtre, et vous atteindre à travers une couche de technologie telle qu’il ne vous sera pas permis de douter une seconde de la véracité de l’information qu’il vous fera parvenir.

Mais pire encore, ce vendeur s’est aperçu que ce média n’est pas, comme l’étaient jusqu’à présent tout les médias de masse, monodirectionnel. S’il peut vous atteindre, alors VOUS pouvez atteindre tous ceux qui y ont accès (« Et on peut faire plusieurs choses en même temps? »). Voilà un danger que le vendeur a bien compris. Et si le vendeur consent  aujourd’hui à vous donner ce pouvoir, son but est moins de vous fournir de l’information que de devenir cette autorité dont Internet s’est si bien passé jusque là, celui qui décidera si une information est bonne pour vous. Puisque’ après tout c’est grâce à lui qu’Internet s’est si bien démocratisé, il est juste que ce soit lui qui dispose du droit de censure, censure sans laquelle cette explosion communicative verrait vite la fin d’Internet.

Qu’on me nomme Cassandre ne m’inquiète pas. Je dis que très vite, au nom même d’Internet, le vendeur d’aujourd’hui sera le meurtrier de demain, et que si on vous donne ce pouvoir aujourd’hui, c’est pour mieux vous l’ôter demain, en transformant Internet en une vaste  surface publicitaire contrôlée par les publicitaires eux-mêmes (« Oui, on peut faxer et imprimer en même temps »).

Et quand bien même ces prédictions se révéleraient paranoïdes de bout en bout, je dis quand même qu’Internet n’est pas pour ce qu’on appelle le ‘grand public’. Car, en effet, Internet véhicule de l’information. Car jusqu’à présent, ceux qui avaient accès à ce monde de l’ombre étaient justement ceux qui créaient cette information, et Internet un outil pour en discuter, et ce faisant créer encore plus d’information.

Je dis que le ‘grand public’ ne crée pas d’information. Il en consomme. Et qu’à ce titre unique, il n’a pas besoin d’Internet. Nos médias classiques sont bien suffisants à la diffusion de  l’information. Je dis qu’Internet n’est pas un spectacle qu’on peut vendre, mais une scène où tous les participants sont acteurs. Qu’en un mot, Internet n’est fait pour vous que si vous êtes vous-même créateur d’information. Mais que si vous l’êtes, alors vous aviez déjà accès à  Internet, avant que les promoteurs n’essaient de vous le vendre.

Décidément, Internet, « c’est très cool ».

  2 Responses to “Fausses pubs et Guignolades”

  1. Même en se remettant dans le contexte historique (1995), cet article était provocateur et volontairement polémique (je n’ai d’ailleurs pas échappé à la critique, qui me taxait d’élitiste).

    Il faut bien comprendre qu’à l’époque, la commercialisation du réseau posait question. Particulièrement à cause de la façon dont Internet était médiatisé (les citations entre parenthèses sont toutes issues des publicités qu’on pouvait voir dans ce temps-là): une espèce de foire marchande où les simples citoyens n’avaient pas de place pour s’exprimer.

    Il n’y avait pas de blogs, en 1995. Peu ou pas d’hébergement gratuit. Pas d’ADSL. Les noms de domaines étaient chers et difficiles d’accès (et interdits au grand public dans la zone .FR). Tout était réuni pour que le grand-public ne devienne qu’une clientèle, et certainement pas un acteur du réseau.

    Dans sa provocation, cet article cherchait surtout à faire en sorte que ses lecteurs décident d’en prendre le contre-pied et investissent Internet en tant que producteurs, et surtout pas en tant que simples lecteurs. Mais je reconnais qu’il était difficile de le lire entre les lignes, aussi bien à sapublicatino qu’aujourd’hui.

  2. […] Dans un article de 1995 (déjà), plutôt rentre-dedans, Laurent Chemla écrivait « que le ‘grand public’ ne crée pas d’information. Il en consomme. Et qu’à ce titre unique, il n’a pas besoin d’Internet. Nos médias classiques sont bien suffisants à la diffusion de l’information. Je dis qu’Internet n’est pas un spectacle qu’on peut vendre, mais une scène où tous les participants sont acteurs. » Mais qui est Laurent Chemla ? Un informaticien programmeur français. Mais encore ? Le premier homme à s’être fait inculper de piratage informatique dans l’Hexagone, en 1986. C’était à partir d’un Minitel, cette espèce de boîte à écran, lancé au début des années 80, qui se connectait au Vidéotex, un service qui permettait d’envoyer et de recevoir des informations (contrairement au Télétexte, qui ne permet que la réception et la consultation) pour faire des achats en lignes, vérifier les courbes de la bourses, chatter1. […]

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