Juin 222000
 

Lundi 19 juin, à la Mutualité, se tenait un colloque intitulé « Internet et libertés publiques ». Un vrai beau  grand colloque, avec ministre de la Culture et de la Communication ouvrant les débats, députés, hommes d’affaires et juristes exposant leurs points de vues, tout ce qu’on peut espérer d’un grand débat  démocratique autour d’un thème aussi passionnant et actuel que celui là.

Un débat qui, au moins à mon sens, a montré à quel point tout ce beau monde était plongé dans un complet  délire paranoïaque dès lors qu’ils entendent parler d’Internet, au point que les mots « libertés publiques » dans  leur bouche faisaient penser à un Général-Président d’Amerique du Sud parlant d’élections  démocratiques.

Comment imaginer qu’un membre du CSA puisse croire qu’il a le droit de décider de ce que chaque citoyen peut dire en public ?

Et pourtant c’est le cas: le CSA considére qu’Internet est un média audiovisuel, et donc que tout citoyen qui  s’y exprime relève de la loi sur la communication audiovisuelle et est censurable à merci par les grands sages et leurs ciseaux médiatiques.

Comment croire que durant plus d’une heure des membres éminents de notre police nous expliquent qu’en  dehors des délinquants internationaux (et encore) ils étaient parfaitement à même de retrouver les auteurs  de délits sur Internet et que dans le même temps les politiques expliquent que pour pouvoir punir  ces délinquants il fallait que tout citoyen s’identifie avant de prendre la parole en public ?

Vous avez du mal à suivre ? Laissez moi traduire.

Oui, il existe des délits commis sur Internet. Quelques-uns. En France on estime le nombre d’Internautes à 4  millions. Alors oui, sur ces 4 millions d’individus il y a des délinquants.

Oui, la police et la gendarmerie sont compétents. Suffisemment pour retrouver les auteurs de délits, encore  plus aisément sur Internet que n’importe où ailleurs (dès lors que vous utilisez Internet vous êtes traçable,  tout comme lorsque vous utilisez votre carte bleue pour payer le péage sur l’autoroute).

Oui, certains délits restent impunis sur Internet comme ailleurs. Notamment parce que ce qui est un délit  en France ne l’est pas forcément à l’étranger et qu’Internet ne connait pas la notion de frontière.

Seulement voici qu’on nous explique qu’un délit commis sur Internet est si grave qu’il ne saurait rester  impuni. Jamais. Et qu’il s’agit donc de garantir à la justice dans tous les cas qu’elle saura qui a dit quoi en  cas de plainte. Et c’est ça ou accepter qu’elle condamne des intermédiaires qui n’y peuvent rien.

Autant dire, citoyen, qu’une caméra sur ton dos en permanence est une garantie, pour la société, qu’au cas où tu délinquerais la justice serait sûre de pouvoir te punir. Et que tu dois l’accepter, sinon on condamnera  ton boulanger à ta place. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

A quel moment une société de droit devient-elle un état totalitaire ? Prend garde, citoyen, la limite n’est pas  si facile à tracer.

En quoi un délit est-il plus grave qu’un autre parce que son auteur utilise Internet ? La réponse passe par la  reconnaissance d’un fait: pour la toute première fois, depuis la définition des droits de l’homme, un droit  inaliénable qui n’était que théorique est devenu réalité. Pour la première fois n’importe quel citoyen peut  s’exprimer librement, sans en passer par la volonté éditoriale d’un éditeur ou d’un journaliste.

C’est nouveau. Et ça fait peur. Et ça fait peur en particulier à tous ceux qui, jusqu’à ce jour, étaient seuls de  par leur position sociale à disposer de ce droit normalement acquis à tous. Car soyons lucides: aimeriez-vous voir n’importe qui disposer d’un droit qui jusque là vous était réservé ?

Et pourtant, losqu’il s’agit d’un droit fondamental qui vient enfin à la portée de tous, un gouvernement  responsable ne devrait-il pas d’abord et avant tout se préoccuper de garantir à tous qu’une liberté nouvelle  ne disparaitra pas ? Un gouvernement responsable ne devrait-il pas d’abord et avant tout faire en sorte  qu’un citoyen s’il devait être censuré par un intermédiaire technique, pourrait se retourner devant la  justice de son pays pour un délit d’atteinte à la liberté d’expression ?

Un tel délit n’existe pas dans notre Code Pénal. Et ce n’est pas un hasard, puisque la liberté d’expression n’a  jamais auparavant été une réalité. N’est il pas temps alors de le créer, de protéger le simple citoyen des  décisions de ceux qui aujourd’hui font commerce de cette liberté nouvelle ?

Il semble que non. De l’aveu même de Patrick Bloche, sa loi va protéger ce commerçant, lui garantir qu’il  ne sera pas poursuivi pour la parole d’autrui, pour peu qu’il accomplisse les « diligences appropriées » lorsqu’il est saisi d’un contenu posant problème, d’où que provienne cette saisine.

Je vais traduire ici aussi.

Si l’un des quatre millions de français qui utilisent Internet décide de créer un site Web (toi aussi, citoyen,  ça pourrait t’arriver), il sera à la merci de son voisin auquel le contenu aura déplu et qui se plaindra à un intermédiaire technique charge dès lors d’effectuer les « diligences appropriées ».

Si ta parole publique, citoyen, pose problème à quelqu’un, n’importe qui, il suffira de saisir, anonymement,  un intermédiaire technique pour que cet intermédiaire n’ait le choix que de te censurer ou d’endosser la responsabilité légale de tes mots. Le commerçant devra choisir entre l’irresponsabilité légale et un client de  plus ou de moins.

Que crois-tu, citoyen, qu’il choisira ?

Et que devient la liberté d’expression quand c’est le commerçant qui devient juge de ce qu’il est ou non  acceptable de dire ?

En souhaitant garantir les poursuites, en posant un préalable légal (« déclinez votre identité ou taisez-vous »)  à tout citoyen qui oserait s’exprimer en public sans censure préalable, en posant le principe de la censure obligée des intermédiaires techniques, et ce alors qu’on nous dit haut et fort que la loi commune  s’applique à Internet, et que la justice passe et ne connait pas de problème, on fabrique un nouvel équilibre  des terreurs:

« J’ai peur de ce que tu vas dire, tu auras peur en le disant », voilà le message que l’amendement Bloche implique et dont il est sous-tendu.

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