Oct 312004
 

Dernier avatar d’un débat qui agite nos sociétés depuis l’antiquité, la question posée par l’usage massif du   « peer to peer » (P2P, échange de fichiers notamment musicaux entre particuliers à l’échelle planétaire via  Internet) à nos société n’est pas nouvelle, et s’est posée de façon toujours plus précise à chacune des  évolutions techniques des méthodes de diffusion.

Savoir comment la société peut – et doit – rémunérer l’artiste pour l’oeuvre qu’il produit, pour son apport  personnel à notre culture, la question redevient forcément d’actualité lorsqu’aucun contrôle socialement  acceptable sur la diffusion d’une oeuvre n’est plus possible, sauf à y perdre des acquis fondamentaux.
Or c’est bien le cas aujourd’hui: pour contrôler un phénomène comme le P2P il faurait surveiller toutes nos  communications privées, filtrer tous nos échanges, voire même taxer tout usage de l’informatique et des  réseaux à la seule fin de rémunérer nos artistes.

Toutes insupportables qu’elle soient, telles sont pourtant les solutions à ce jour préconisées par les défenseurs  du « droit d’auteur », et ce sont bel et bien celles vers lesquelles nos gouvernement semblent  vouloir s’orienter.

Face à ces thèses, les réponses proposées par les amateurs de P2P ne sont pas forcément plus acceptables: de  la remise en cause de tout droit de vivre de la vente de son oeuvre (l’oeuvre appartenant à tous dès l’instant  de sa sa création) à la volonté affichée de faire disparaitre tout intermédiaire entre l’auteur et son public,  rien de réellement plausible n’est avancé.

J’essaie, pour ma part, de comprendre comment  une vraie question n’amène aujourd’hui que de mauvaises  réponses.

Histoire du « droit d’auteur’

Si le terme est récent, l’idée n’est pas neuve. Et comment s’en étonner ?

L’artiste, depuis l’origine de l’espèce, a une place à part dans nos société. Son apport n’est pas aussi  immédiatement vital, aussi matériellement tangible, que celui de l’ouvrier, du guerrier ou du cultivateur.  Il n’en est pas moins important, bien sûr, mais le prix de son travail est forcément plus  difficilement quantifiable, tant il repose sur un partage impossible entre la créativité propre de l’auteur et celle de tous ceux qui l’ont précédé et ont permi à son oeuvre d’être reconnue.

Sans entrer dans le détail [1], ce « droit de paternité » a longtemps été régi par la morale plus que par la loi.  Depuis l’antiquité, le « droit d’auteur » n’était guère soutenu que par l’opprobre contre le plagiaire/copieur ou  par le contrat privé entre l’auteur et son lecteur (qui disposait dès lors du choix de diffuser et de revendre,  ou non, l’oeuvre en sa possession).

La réflexion fondatrice du système moderne ne date en réalité que de 1709, avec une loi anglaise dite du  « Statut d’Anne » et qui cherchait pour la première fois à protéger l’auteur des copistes tout en essayant  d’encourager la diffusion de la culture. Il s’agissait, dès cette époque, de trouver un statut équilibré entre le  droit pour un auteur de vivre de son travail et celui de tous à accèder aux biens culturels. Toutes les lois qui  en ont découlé, plus particulièrement depuis la révolution française, ont tenté de respecter des  équilibre difficile, et qui est à mon sens plus que largement remis en cause aujourd’hui.

Droit d’auteur: une idée fausse?

S’il est un moyen amusant et facile de vérifier la thèse que je défends – le droit d’auteur tel qu’il est  aujourd’hui pratiqué et médiatisé n’est qu’un avatar dégénéré de ce qu’il devrait être dans une société qui  ne se limite par au marché – c’est de constater la façon partiale (sinon fausse) dont la CISAC (1) en raconte  l’histoire: il n’est question pour les sociétés d’auteur que de la protectio de l’auteur. Rien d’étonnant à  première vue, mais tout de même: c’est laisser de côté le fait incontournable qu’une oeuvre, quelle qu’elle  soit, est autant sinon d’avantage le fruit d’une époque que celui de la seule imagination d’une personne  unique.

Or il faut bien constater combien cette vérité est niée, passée sous silence. Il faut bien constater combien il  est facile pour des auteurs (ou leurs représentants et distributeurs) d’exercer des pressions tant médiatiques que politiques pour effacer de la conscience populaire l’idée qu’une oeuvre ne peut pas – ne doit pas – n’appartenir qu’à son inventeur.

Les médias sont, qu’on le veuille ou non, juge et partie, créant les auteurs sinon les aouvres, vendant ces  dernières sous leur propre label, il est de plus en plus difficile d’y trouver un espace de débat. Quant au  politiques, qui dépendent eux aussi des médias, ils subissent des pressions de tous côtés, tant de la part des  majors que de la part du public à qui on a si bien fait avaler l’idée que la diffusion incontrôlée de la culture  mettrait en danger toute l’activité créatrice de ses artistes favoris.

Où trouver aujourd’hui un Victor Hugo capable d’affirmer [2] que «si l’un des deux droits, le droit de  l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous» ?

«Le P2P nuit à la création artistique». Voilà l’image imposée, inscrite dans la loi [3], qui a remplacé la  vision des inventeurs de ce statut d’équilibre que voulait être le droit d’auteur: un droit qui reconaissait une part de paternité de toute oeuvre à la société qui en avait permi la naissance.

Et cette image, désormais bien implantée, est un mensonge pur et simple.

Droit de mensonge

Comme tout bon mensonge, celui-ci est basée sur une vérité: l’industrie du spectacle, particulièrement celle du disque, subit une récession. Ce n’est bien sûr pas la première fois que ça se produit mais – il est toujours  plus facile d’accuser quelqu’un d’autre d’être à l’origine de ses propres problèmes –  il existait un coupable  tout trouvé : on a donc affirmé (et on continue d’affirmer) que la baisse des ventes étaient dues au P2P.

Parallèlement, on s’est bien gardé de dire que pendant que les ventes de singles baissaient de 17.5% en  France, le nombre de ces mêmes singles édité avait baissé lui de 50%, que le nombre de nouveaux artistes  « signés » par les maisons de disques avait baissé de 30% et que le budget publicitaire avait dinimué d’un bon  quart.

Moins d’offres, moins d’artistes, moins de publicité: moins de ventes.
Une équation qui se suffit à elle-même.

On s’est bien gardé aussi de dire que cette chute des ventes n’était pas internationale et que certains pays,  parmi ceux dont le taux d’équipement informatique est le plus élevé (et donc, logiquement, où le P2P a de  plus nombreux adeptes) connaissaient eux une augmentation des ventes.

Mensonge, mensonge, mensonge. Rien ne démontre que le P2P fait baisser les ventes. Les rares études  indépendantes [4] démontrent même l’inverse, comme n’importe qui pourait s’en douter d’ailleurs: les  mêmes maisons de disques qui se battent contre le P2P se battent aussi dans le même temps pour que les  radios diffusent les mêmes oeuvres que celles qu’elle ne veulent pas voir diffusées via le réseau. Un peu  schyzophrénique, comme comportement, non ?

La raison pour laquelle les majors (mais aussi certains artistes, sans parler des sociétés d’aueurs)  combattent le P2P est, évidemment, bien différente que ce simpliste argument « le P2P nuit à la création ».  Comme si l’acte créateur dépendait des ventes, comme si un artiste devenait subitement autiste s’il n’a pas  l’assurance d’entrer au TOP50.

Internet, parce qu’il met en relation directe des millions de personnes, risque à terme de faire disparaitre  toute une catégorie d’intermédiaires entre l’artiste et son public. Point. Le combat mené par ces  intermédiaires est un combat pour leur survie. Leur objectif est de faire disparaitre ce mode de distribution qu’ils n’ont pas su investir, parce qu’il leur fait de la concurrence. Il n’est pas question de danger pour la  création: il est question de danger pour les bénéfices des intermédiaires. Et de rien d’autre.

L’argument asséné « le P2P nuit à la création  » est un des pires mensonges qui soit. Populiste. Démagogique.  Faux. Honteux.
La propriété intellectuelle, c’est le vol intellectuel

L’argument contraire, qui voudrait que toute oeuvre soit disponible gratuitement parce qu’appartenant à  l’humanité toute entière, n’est pas pour autant une vérité. Il nie par exemple le fait qu’un auteur, quel que  soit son domaine, ne peut pas créer quand il meurt de faim, qu’il n’est pas moralement acceptable que son  oeuvre soit pillée par quelque plagiaire meilleur commerçant, qu’à défaut d’en tirer d’énormes bénéfices il  mérite pourtant de pouvoir vivre de son travail et que ce n’est pas parce que certains artistes sans talent  deviennent millionaires que tout système de contrôle et de redistribution est bon à jeter.

Peut-être en est on, en effet, arrivés au point où le choix de Victor Hugo doit être fait. Peut-être est-il temps  de poser le débat en ces termes, et de dire que l’intérêt public prime sur le droit d’auteur.
Ce serait dès lors admettre que le P2P (et ses avatars électroniques futurs) rend définitivement impossible  toute autre forme de financement de l’art que le mécénat (qu’il soit public ou privé). Si l’on devait en arriver à cette conclusion, ce devrait alors être le choix logique, normal, de nos sociétés.

Je doute, cependant, qu’il soit impossible d’imaginer d’autres formes de rétribution, qui s’accorde à laisser le marché décider de la valeur d’un auteur tout en lui assurant une juste rétribution, si l’on choisit les valeurs libérales, ou qui considère l’utilité sociale de l’artiste et qui lui assure de pouvoir vivre d’un système de  redistribution d’argent public si l’on préfère les valeurs communautaires. Les solutions existent, je le crois, même si elle restent à définir.

Encore faudrait-il commencer par poser le débat sur des bases autres que ces mensonges, que ces non-dits. Encore faudrait-il ne pas oublier que le statut de l’auteur n’est pas un statut commun, qu’une oeuvre qui ne serait issue que du marché, donc de la demande, ne serait plus de la culture. Que toute oeuvre n’existe que par et pour l’histoire, que rien n’est créé qui ne soit l’enfant d’une création préalable, et que le seul statut possible doit rechercher l’équilibre. Un équilibre aujourd’hui totalement rompu par le lobbying intensif d’intermédiaires soucieux d’assurer leurs bénéfices, fut-ce au prix de la disparition d’un moyen d’expression libre ouvert au plus grand nombre, car c’est bien de celà qu’il s’agit.

Les lois, les taxes, les chartes qu’on souhaite imposer sur Internet sont toutes faites au profit des seuls marchands. L’accès à la culture pour tous n’est pas un combat, c’est même l’inverse du combat mené par ceux qui nous gouvernent. Aujourd’hui, nous vivons dans une société qui veut réserver l’accès à la culture à ceux qui veulent bien (et qui peuvent) la payer [5].

Hugo, réveille-toi, ils sont devenus fous.

[1] Pour plus de détails, lire « Petite histoire des batailles du droit d’auteur », par Anne Latournerie sur:
http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=168

[2]  En 1878, lors de son discours d’ouverture du congrès littéraire international, Victor Hugo contribuait à fonder le droit d’auteur moderne avec ces mots: «Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain.  Toutes les intelligences y ont droit. Si  l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous».

[3] L’article 7 de la LEN (Loi pour l’Economie Numérique adoptée en mai 2004) est concis. Le voici en  intégralité: «Lorsque les personnes visées au 1 du I de l’article 6 [les fournisseurs d’accès à Internet]  invoquent, à des fins publicitaires, la possibilité qu’elles offrent de télécharger des fichiers dont elles ne sont pas les fournisseurs, elles font figurer dans cette publicité une mention facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique.».

Ce n’est, hélas, pas la seule loi qui entend limiter les droits d’accès à la culture, et si la mise en application  en France de la directive européenne dite « EUCD » devait se faire, nous aurions en pratique perdu le droit à la copie privée. Certaines jurisprudences vont déjà dans ce sens en reconaissant le droit des maisons de disques à empêcher par des procédés techniques toute copie – et bientôt toute écoute – sans que de nouveaux  droits soient acquités.

Consulter sur ces sujet le site http://eucd.info

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