Votez, votez, il en restera sûrement quelque chose. Votez pour éliminer celui des candidats que vous ne voulez pas voir au second tour: faites le 3333 et tapez son nom. Choisissez votre élu sur http://elisez-moi.com et cliquez sur celui qui est le plus démago dans sa présentation en ligne.
Ah mais quelle belle idée que celle du vote électronique. Quel bon moyen de renvoyer aux urnes virtuelles des citoyens dégoutés par la politique.
A quoi bon le decorum. A quoi bon devoir se déplacer dans un lieu de vote, à quoi bon devoir picorer « au moins deux bulletins » parmi la masse de ceux qui se sont présentés, à quoi bon devoir s’isoler pour décider en toute conscience, à quoi bon déposer son bulletin dans une urne transparente, à quoi bon être présent pendant le décompte, à quoi bon tout cet étalage de civisme ? Le citoyen n’est pas civique, puisqu’il ne vote pas.
Et ce n’est pas, bien entendu, parce qu’il n’a le choix qu’entre des membres d’un personnel politique sans idée, sans vision, montrant à l’envi et sans la moindre honte beaucoup plus d’intérêt pour leur carrière que pour leur pays. Ce n’est pas parce qu’il est profondément déçu de l’évolution d’un monde qui le contraint à devoir choisir entre des gérants et des techniciens plutôt qu’entre des hommes d’État.
Mais non, bien sûr.
C’est parce qu’il est trop difficile de marcher 200 mètres un dimanche pour aller voter. Alors proposons-lui le vote électronique.
Mais oui, quelle bonne idée.
Le désamour des français pour le vote, particulièrement évident lors du vote européen, n’est pas dû au profond déséquilibre de nos sociétés qui ont oublié que l’homme a besoin pour être heureux d’autant de coopération que de compétition: la coopération c’est le domaine du tissu associatif et encore, quand il n’est pas composé uniquement que d’organisations clientélistes (qui a dit « lobby » ?).
Le personnel politique, lui, s’occupe d’être compétitif, de savoir qui sera « le meilleur d’entre nous », d’être celui qui aura les meilleures statistiques, de faire payer moins d’impôt, de donner d’avantage à ses électeurs, de rétablir les comptes de la Sécurité Sociale et de faire en sorte que le dossier de la retraite soit traité.
Tout l’espace politique n’est plus rempli que de compétition. Nulle part il n’est question d’opposer des visions de la société, sauf en quelques mots (Europe fédéraliste, Europe fédératrice, décentralisation) incompréhensibles pour des citoyens qui ne sont pas des techniciens de la politique et qui au delà des mots n’ont que de vagues notions des concepts. Et qui, dans le meilleur des cas, restent des choix organisationnels.
Mais qui a dit que l’organisation d’une société était le seul rôle du politique ? Qui a oublié qu’un politique devait s’appliquer d’abord à avoir une… vision politique, avant de chercher et de proposer les moyens d’en faire une réalité sociale ? Où sont passés ces hommes d’États capables de comprendre les principes qui fondent cette société, d’en expliquer les enjeux et de les mettre en application ? Où sont-ils quand, lorsqu’on leur dit que leur projet de loi n’est pas conforme à la constitution, ils décident de modifier cette constitution, sans état d’ame ?
Où sont les tribuns capables de faire vibrer autre chose que le porte monnaie ? Coment avons-nous pu trouver en 1789 des hommes capables d’imaginer une constitution, un état, des principes, des choix de vie, quand on ne peut que constater auourd’hui que le personnel politique est fade, sans imagination, que le citoyen s’en fout, que les décisions sont prises autre part, qu’on ne peut pas changer le système, qu’il est mondial et qu’il le restera ? Était-ce une période de notre histoire si exceptionnelle qu’elle nous a donné du jour au lendemain des génies, ou bien ne serait-ce pas plutôt qu’aujourd’hui ceux qui nous dirigent ont tout fait pour casser le jouet, détruire la république, oublier ses principes, être incapables d’en imaginer de nouveaux ?
Où sont ceux qui nous donneront envie de changer de vie, qui nous proposerons de retrouver le nécessaire équilibre perdu entre compétition et coopération ? Où est passée l’imagination ? Qui a dit qu’il n’était pas possible d’imaginer d’autres voies que celles du capitalisme plus ou moins social ? Quel texte impose que nos partis soient « de gauche » ou « de droite » quand ces mots ne signifient plus rien d’autre qu’un choix entre l’extrémisme désespéré et la tiédeur désabusée ? Comment s’étonner qu’un choix aussi restreint ne donne pas envie de voter ?
Mais non. Nul ne s’étonne. Puisque nous ne votons plus, puisque le système est tel qu’il est devenu impossible de trouver la moindre joie dans le fait de choisir la société dans laquelle nous voulons vivre, la solution est toute trouvée: changeons le système de vote pour le rendre plus facile. Au moins la corvée sera-t’elle plus courte. Même si ce sont ceux qui vous simplifient le vote qui ont fait de l’acte le plus important de notre vie démocratique une corvée, ce n’est rien: puisqu’ils ont détruit la société au point de constater le retour de la haine raciale, du communautarisme et du clientélisme, ils vont soigner les symptômes au lieu de chercher leur responsabilité et de soigner les causes.
Alors voilà. La télé-réalité nous a montré la voie: les gens votent encore, quand c’est facile. Quand il s’agit de choisir la plus belle, quand il s’agit de voter pour le meilleur fermier, quand il s’agit d’éliminer le moins bon chanteur. Quand il ne s’agit pas d’un choix de vie mais d’une compétition, les gens votent. Et puisque la politique n’est plus rien d’autre qu’une compétition entre des hommes avides du pouvoir pour le pouvoir, autant l’avouer une bonne fois pour toutes et faire de nos scrutins des votes électroniques qui, COMME TOUT VOTE INSTANTANNÉ, comme tout sondage, comme toute machine à boisson, donnera la préférence au plus clinquant, au plus drôle ou au meilleur démagogue.
Plus besoin de se faire une opinion en écoutant les uns et les autres débattre de leur projet de société: de toutes façons il n’en ont pas, de projet, alors en débattre…
Plus besoin de s’isoler, plus besoin de se déplacer. Cliquez sur le potiron pour choisir votre président. Faites confiance à l’électronique et aux techniciens qui, seuls, vous garantissent la confidentialité et la sincérité des résultats.
Oublions que le fait d’avoir à se déplacer était la preuve d’une envie de s’exprimer. Oublions le fait que l’isoloir, l’urne transparente, le décompte public étaient les garants d’un choix un peu plus raisonné, un peu plus posé, un peu moins reflexe, et que son résultat avait le mérite d’être le plus honnête possible.
Oublions que le vote électronique, quoi qu’en disent les techniciens (et s’ils sont honnêtes ils vous avoueront, au contraire, sa faiblesse), est un vote hautement falsifiable, sans visibilité. Oublions tout. Votons pour le meilleur auteur de petites phrases.
Quant à la politique, laissons là devenir électronique. Il y a déjà si longtemps qu’elle n’est plus humaine.
Bel article.
Je retiens notamment l’idée du « symbole » de se déplacer.