Mar 031996
 

AOL, Compuserve, Génie, Infonie et bientôt Wanadoo, Multicable et j’en oublie sont des  « services en ligne ». Tous veulent offrir, en plus d’un accès à Internet, des services  supplémentaires qui les rendront plus attractifs que les ‘simples’ fournisseurs d’accès, mais  tous pourtant communiquent largement sur cet accès à Internet.

Ils ne sont pas fous. Outre le fait de vouloir «Capter une énorme soif de communication» (1),  ils auront tous noté, comme nous l’apprend une dépêche de l’AFP en date du 28 Février que  «Les sociétés de services en ligne sont en passe de se retrouver en difficulté alors qu’Internet  s’améliore rapidement» (2), et que si AOL a doublé son nombre d’abonnés  durant la dernière année, c’est _après_ avoir ouvert à ses clients ce fameux accès à Internet.

Alors? Tous ces services ne sont-ils rien de plus que des fournisseurs d’accès comme les  autres, ou offrent-ils réellement une valeur ajoutée? Si Wanadoo, à l’extrème, ne compte offrir comme seule « valeur ajoutée » qu’un «bottin annotable de sites commerciaux du Web répertoriés et mis en fiches par une équipe de journalistes (avec des notes sur la fiabilité du contenu, les services qu’on y trouve…)» (3), AOL, Compuserve et Infonie offrent quant à eux toute une gamme de services inaccessibles depuis Internet, mais  s’empressent de préciser  que l’accès au réseau des réseau est bel et bien là pour «élargir considérablement les  possibilités et le choix des utilisateurs.» (1). Internet présenté comme une simple extension d’un « on-line », voilà qui est éclairant.

On pourrait croire, à lire les interviews des présidents de toutes ces sociétés, qu’Internet  n’existe en effet que grâce à eux, qu’il n’est qu’une extension de leurs services, et qu’il est né  de leur coopération. Si c’est bien de la coopération qu’est né Internet, ce ne fut pas celle des  entités commerciales.

Vincent, François, Paul et les autres …

La coopération bénévole a permis de créer beaucoup de savoir commun, souvent dans le  domaine informatique, mais aussi social, en créant des liens différents entre les gens.  Internet aujourd’hui, mais avant lui les BBS ou la CB ou encore les radios libres et même le  minitel à ses débuts, a permi de démontrer une fois encore qu’un nouveau medium utilisé  sans aucune organisation apparente ni reconnaissance sociale officielle permettait à des utilisateurs motivés, par la soif de création cette fois, de tisser des liens sociaux nouveaux  porteurs à chaque fois de l’espoir d’une vie différente, dans laquelle l’entraide l’emporte sur  l’appât du gain et le partage du savoir sur l’appropriation et la vente du travail d’autrui, fût-il  enrobé du packaging adéquat.

De cette synergie sont nées, pour rester dans le domaine des réseaux électroniques, des  notions comme le Freeware, illustration de cette volonté d’échange et de bénévolat, ou la  netiquette, qui a permis l’existence de Usenet. Dans le cas d’Internet on peut même dire que  le medium qui permet la coopération s’est lui-même développé grâce à la coopération et  surtout grâce à la volonté de ceux-là qui voulaient donner accès à d’autres à l’outil qu’ils  inventaient. Et le Web enfin, qui partait de cet esprit d’ouverture et qui fut récupéré presque instantanément par les marchands du temple, qui ont compris avant tout le monde qu’ils pouvaient gagner là un argent facile en vendant le savoir ainsi créé par d’autres.

Compuserve, Infonie, AOL et les autres …

AOL, Compuserve, Infonie et bientôt Wanadoo et Multicâble font leur publicité sur leur  contenu propre, mais n’oublient jamais de signaler partout que l’accès à Internet reste  possible. L’accès oui. Il est possible, grâce à ces services, de se connecter à des liaisons  surchargées pour les surcharger encore un peu plus. Pour se comporter encore un peu plus  en client, qui viendra de son bon droit de client se connecter sur des sites financés par de  l’argent souvent public, en tout état de cause souvent destiné à la recherche universitaire  publique, pour y chercher un fichier déposé par un bénévole qui crée cette information que  tout le monde recherche. Et pourquoi? De quel droit le site commercial peut-il vendre un savoir qui ne lui appartient pas, sans aucune contre-partie sinon celle, négative, de pomper  un peu plus les ressources communes?

Dans un monde parfait, on pourrait pourtant imaginer ces services on-line comme autant de  moyens d’accès à l’information contenue sur Internet. L’argent des clients servant à payer les  gens qui collecteraient ces informations, et à payer l’information à ceux qui la créent, au  moins en finançant les liaisons universitaires, ou en offrant à Internet un accès gratuit à  l’information réorganisée par le service commercial. De cette manière le client serait  content. Il aurait accès à _toute l’information du monde_, sans subir de ralentissement,  facilement, sur le site même pour lequel il a payé un droit d’accès. Le service commercial  serait content de savoir son client content. Internet ne subirait plus l’arrivée massive de clients mécontents de constater la lenteur des débits. Ceux qui ont l’usage d’un réseau  coopératif seraient contents parce que leur outil de travail fonctionnerait et leur permettrait  de créer encore l’information dans de bonnes conditions. Leur outil de travail, qui reste  ouvert à tous ceux qui en ressentent le besoin grâce aux simples fournisseurs d’accès, qui  eux, participent à leur tour au financement des liaisons.

Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, nous vivons dans un monde libéral. Le service  on-line ne propose pas grand-chose d’autre que de la vente par correspondance, et,  pour tout le reste, un accès à Internet. Quand des bibliothèques de programmes sont  proposées, il s’agit dans l’immense majorité des cas de programmes qui ont été créés par  d’autres, remis en ordre et classés, mais… inaccessibles sous cette forme à ceux-là même qui ont rendu leur existence possible, voire à leurs auteurs. Aucun service n’est rendu à la  communauté. Aucun service n’est rendu au client, sinon un moyen de plus, non pas de  communiquer, mais de jeter une bouteille à la mer. Clients par ailleurs souvent mécontents  comme on peut le lire ces temps-ci sur Usenet. Auteurs et bénévoles d’Internet qui se  sentent chaque jour un peu plus floués par ceux qui vendent leurs créations sans leur offrir  quoi que ce soit en échange, et qui peu à peu cessent toute activité créatrice. Internet dont chaque jour qui passe démontre un peu plus qu’il est sur-saturé, alors qu’il est difficile, voire impossible, d’accélérer les débits dans l’immédiat. Car il ne s’agit pas seulement d’augmenter la vitesse d’une seule liaison, mais de toutes les liaisons de tous les ordinateurs qui  participent au réseau des réseaux. Et finalement, les clients des fournisseurs d’accès, qui  changent de fournisseur comme on change de chemise, en espérant dénicher l’oiseau rare  qui déboucherait sur un réseau rapide et fiable, qui n’existe plus. «Des passerelles directes vers l’Internet» (1) ? L’échange n’est même plus inégal, l' »échange » est devenu  unidirectionnel.

Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous

Et, oui, ce partage est possible. Oh, on objectera bien sûr que je suis un dinosaure assoiffé non pas de communication mais de caricature. Non, ce n’est pas ça. Ce n’est pas qu’on n’aime  pas la publicité, et qu’on lui préfère le film. C’est juste qu’on ne veut pas voir nos films  dénaturés par les coupures publicitaires intempestives.

La publicité, intelligemment programmée avant ou après le film, bénéficie de l’audience  drainée par ce film. Le juste retour des choses veut qu’une partie des recettes publicitaires  contribue à favoriser la création cinématographique. A défaut d’esprit coopératif, un peu de jugeote suffirait. Parce que sinon, tôt ou tard, le studio va devoir fermer ses portes. Et sans films, pas de publicité.

(1) extraits des propos prononcés par le PDG d’AOL-France au cours de son interview publiée dans Planète Internet N. 5.

(2) « Les services en ligne menacés par l’attrait grandissant d’Internet » par JEAN-LOUIS SANTINI, AFP 280525.

(3) Article « services On-line » Libération 16/02/96.

 Leave a Reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

(required)

(required)